vendredi 22 avril 2011

Découper le bison comme Néandertal.


Des spécialistes de la préhistoire débitent au silex, à la façon des Néandertaliens, un bison fraîchement tué. But de cette expérience inédite: mieux comprendre les outils et les méthodes de boucherie employés voici 50.000 ans par les hommes des cavernes.
Une vingtaine de chercheurs d'un programme collectif baptisé "Des traces et des hommes" se pressent depuis jeudi et jusqu'à vendredi autour de la carcasse d'un bison de 300 kg allongé sur une bâche en plastique, dans le jardin de l'un d'eux à Villemur-sur-Tarn, au nord de Toulouse.
Des archéozoologues, technologues et tracéologues, spécialisés respectivement dans l'étude des ossements d'animaux, des outils de pierre et des traces d'usure laissées sur ces mêmes silex participent à l'opération.
"Après des dépeçages de cerfs, c'est la première fois qu'on mène en Europe ce genre d'expérience avec un animal aussi gros", dit Vincent Mourre, préhistorien de l'Inrap (archéologie préventive), partie prenante à l'opération aux côtés du CNRS et des universités de Toulouse et Bordeaux.
Des expériences similaires ont été menées aux Etats-Unis sur des bisons mais avec les outils en obsidienne privilégiés par les Indiens du Nouveau Monde, explique-t-il.
Ici, il s'agit de mieux comprendre la vie des Néandertaliens qui habitaient la région il y a 40.000 ou 50.000 ans, renchérit Céline Thiébaut, à l'initiative du programme. Quels outils, quelles méthodes de boucherie étaient utilisés par ces chasseurs-cueilleurs, qui se déplaçaient dans le sillage des troupeaux ?
S'il est difficile de savoir si les hommes des cavernes préféraient leur steak dans la bavette ou dans la hampe, "on peut retrouver des traces de désarticulation, de décharnement ou d'exploitation de la moelle", raconte Sebastian Chong, qui prépare un mémoire sur la caractérisation des stries de boucherie.
Sous un soleil radieux, au milieu des effluves écoeurantes émanant de la carcasse, les chercheurs dépècent, débitent et désarticulent un bison d'Amérique issu d'un élevage des Cévennes. L'animal, une femelle âgée vouée à l'euthanasie, a été tué et éviscéré en abattoir.
Les chercheurs utilisent des répliques d'outils en silex ou en quartzite, consignant soigneusement le moment où les bifaces (pierres taillées sur deux côtés), pointes et autres hachereaux rencontrent l'os avant de ranger les instruments après chaque opération spécifique.
"Ce sont de bons outils, affûtés comme des lames" même s'ils s'émoussent très vite, commente Sandrine Costamagno, une archéozoologue. "Avec un silex, on peut opérer quelqu'un".
Stéphane Brenet, boucher professionnel, venu assister à l'opération par curiosité, est admiratif. "Je trouve qu'ils se débrouillent très bien".
Le but est de mettre au point un système de références qui servira à confronter les observations faites au cours de l'expérience et les outils et ossements retrouvés sur les sites archéologiques.
Dans la région, de grandes quantités d'ossements correspondant aux restes de centaines de bisons mêlés à des outils ont été retrouvés à Coudoulous (Lot) ou à Mauran (Haute-Garonne). A Mauran, il semble qu'une falaise ait servi de piège naturel, où un grand nombre de bêtes ont été abattues avec "énormément de gâchis": des os articulés ont été retrouvés sur place, laissant supposer que les chasseurs n'emportaient que les meilleurs morceaux.
Contrairement aux ethnologues, les préhistoriens n'ont "presque plus rien. On fait notre petite enquête. Chaque élément est l'élément d'un puzzle qu'on essaye de reconstituer", dit Céline Thiébaut.
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