mardi 21 juillet 2009

Mangez sans faim

Blogue de Christian Lamontagne




Voici la scène. Je suis en retraite de méditation intensive depuis trois jours, avec une vingtaine de personnes. Arrive l’heure du repas pris en commun. Aussitôt assis à la grande table de service, alors que JE SAIS qu’il y a suffisamment de nourriture pour me permettre de manger à satiété, je sens poindre en moi une angoisse : mon assiette sera-t-elle suffisamment remplie? Aurai-je ma part?

Cette angoisse primitive, liée à l’instinct de survie, est tellement éloignée de l’espace méditatif dans lequel je baignais cinq minutes plus tôt qu’il m’est impossible de ne pas la remarquer. Je suis comme un chien devant un bol de nourriture, prêt à tout dévorer jusqu’à ce que son estomac soit rempli à pleine capacité. Le chien, mon frère…

J’ai observé ce même comportement primitif en vacances sous les tropiques, dans une formule de forfait « tout compris » : à l’heure des repas, les vacanciers se précipitaient quasiment en courant vers des tables croulant sous de véritables montagnes de nourriture, comme s’ils risquaient d'en manquer. La seule différence entre ce contexte de vacances et celui d’une retraite de méditation est que la méditation permet d’observer ce qui se passe.

On dirait que, lorsque qu'on est réuni dans un groupe où nous ne sommes pas en relation avec les autres, nous nous comportons comme des bêtes. Par contraste, lorsque je mange seul, en compagnie de mon épouse, d'amis ou de membres de ma famille, je n’éprouve généralement aucune angoisse par rapport à la nourriture. Mais d’autres automatismes entrent en jeu.

Il y a cinq ans, lors du colloque Energy is delight, tenu à l’Université McGill, un chercheur, John de Castro, a démontré que la quantité d’aliments ingérés lors d’un repas augmente graduellement de 33 % à 96 % selon qu’une personne mange seule ou avec une à six personnes et plus. Ses données révèlent également que, même si des aliments fournissent diverses quantités d’énergie par rapport à leur poids (par exemple, une pomme de terre, du fromage ou des légumes verts), le poids des aliments consommés ne varie pas. Nous semblons principalement guidés par la capacité d'absorption de notre estomac.

Une autre recherche présentée durant ce même colloque démontrait que « le fait de connaître la quantité consommée d’un aliment donné par la majorité des autres participants influence de façon significative la consommation personnelle, et ce, peu importe la privation alimentaire initiale ou le contenu stomacal, ce qui dénote un effet très puissant de la norme. Autrement dit, plus le voisin consomme, plus on tend à faire de même ».

D’autres mécanismes, moins « sociaux », interviennent aussi dans notre rapport à la nourriture. Par exemple, nous sommes quasiment programmés sur le plan génétique pour préférer des aliments à forte teneur calorique, que ce soit en sucres ou en gras. Même des bébés de trois jours préfèrent les aliments sucrés! Ce n’était pas un réel problème lorsque ces aliments étaient peu disponibles (jusqu’au début du XXe siècle). Ça l’est maintenant qu’ils sont abondants.

Un autre chercheur, Michael Meany, a également fait état de la relation entre le stress et l’apport alimentaire. En situation de stress, nous devenons moins sensibles à la leptine, une protéine qui nous signale la quantité d’énergie consommée. Moins sensibles à ce signal, nous continuons de manger.

Enfin, soulignons l’effet psychologique de la nourriture. Si vous voulez « sécuriser » des gens, donnez-leur à manger. Ce n’est pas sans raison qu’on sert sans arrêt des boissons, grignotines et nourriture lors d’un voyage en avion : ça calme les passagers.

Toutes ces observations permettent de mieux comprendre pourquoi, même si nous sommes informés, instruits et riches, les différences de comportements alimentaires entre les mieux nantis et les plus démunis ne reflètent absolument pas les écarts de revenus, d’éducation et d’information. Bien qu'ils disposent d'au moins trois fois plus de revenus que les plus pauvres (60 000 $/an contre 20 000 $/an), à peine 5 % plus de riches que de pauvres (34 % contre 29 %) consomment leurs cinq portions quotidiennes de fruits et légumes. Les chiffres sont du même ordre pour toutes les catégories d’aliments sains (grains entiers, produits laitiers, légumineuses) ainsi que le rapporte une récente étude de la Direction de santé publique de Montréal.

Malgré les désolantes constatations de ce rapport, toutes les mesures proposées (continuer de suivre les habitudes alimentaires, diminuer la pauvreté, améliorer « l’environnement alimentaire » et l’environnement urbain, augmenter le sens critique et les habiletés culinaires, inciter à la résistance aux modes alimentaires) n’auraient au mieux, selon les propres observations du rapport, qu’un effet marginal sur les habitudes alimentaires. Qu’on me comprenne bien : ces mesures sont utiles et nécessaires, mais elles sont loin d’être suffisantes.

Notre rapport à la nourriture est animal et instinctif. La raison a bien peu à y voir. La décision la plus rationnelle et la plus efficace que nous pourrions prendre serait d’imposer des mesures pour limiter la quantité et le type de nourriture disponibles, comme on le fait avec des animaux, puisque à l’heure de manger nous nous comportons comme des bêtes. Mais cela risque de ne pas être très populaire.

Une voie alternative, tout à fait à l’opposé, serait de tout miser sur la discipline personnelle, l’attention à ce que l’on fait et de réhabiliter le concept de péché de gourmandise. Mais, dans une société qui a écarté toute notion de vie spirituelle, c’est une voie à laquelle seule une minuscule minorité de personnes pourrait consentir.

Le type de mesures qui semblent politiquement acceptables serait un savant mélange d’éducation aux plaisirs culinaires, de carotte (mesures incitatives en tous genres, subvention de certaines catégories d’aliments, accessibilité accrue, etc.) et de bâton (taxes, interdictions, contrôle de l’industrie agroalimentaire, politiques alimentaires publiques, etc.)

En un peu moins de 30 ans (de 1978 à 2005), la proportion d’adultes canadiens souffrant d’obésité est passée de 13 % à 24 %. Au Québec, en 2005, 57 % des adultes affichaient un surplus de poids (indice de masse corporelle supérieur à 25).

Nous sommes conscients de la situation, nous en connaissons les causes et nous pouvons agir. Mais qui aura le courage de le vouloir? Je vous pose donc une question générale ; seriez-vous favorable à une intervention législative visant à imposer des normes à l'industrie agroalimentaire et à mettre en place des mesures « fortes » (taxes, subventions et autres interventions ciblées) pour contrer l'épidémie d'obésité et les maladies qui en découlent?

À vous la parole!






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