Ajoutez une pincée d'ADN à la solution de protéines et mettez au four. Quel bonheur pour les biologistes, si l'étude expérimentale de molécules était aussi facile. L'équipe de Dominique Collard, spécialiste en nanotechnologie, vient de réaliser leur vœu: elle a mis au point une "nanopincette" à molécules qui permet de réaliser des tests biophysiques au niveau moléculaire. Un instrument d'emploi bien plus rapide et plus pratique que les techniques actuelles de manipulation directe.
Aujourd'hui, la biologie moléculaire expérimentale ressemble plus à de la cuisine de collectivité qu'à celle d'une maisonnée. Les tests de réactivité de molécules sur l'ADN se font dans des éprouvettes qui mettent en présence une foule de molécules. Avec un inconvénient: l'effet recherché est parfois difficile à isoler parmi les multiples interactions moléculaires qu'ont subies les brins d'ADN. Les biologistes disposent bien d'outils pour manipuler individuellement des molécules, tels le microscope à force atomique et les pinces optiques (un système où la lumière vient soulever les molécules), mais outre leur coût élevé, ces instruments, issus du monde de la physique, sont d'utilisation fastidieuse avec des matériaux biologiques. C'est dire si l'outil mis au point par Dominique Collard est attendu par les biologistes.
La nanopincette est constituée de deux minuscules mâchoires, séparées d'une dizaine de micromètres. Au départ non adhésives, elles deviennent collantes pour certaines molécules, comme l'ADN, lorsqu'on applique une tension électrique. La manipulation est enfantine: il suffit de la plonger dans la solution qui contient les molécules d'ADN pour se retrouver, en quelques secondes, armé d'un bouquet d'une centaine d'entre elles suspendues entre les mâchoires. En les écartant ou les resserrant, on peut ensuite étudier la rigidité des brins d'ADN sous l'influence d'une autre molécule (la plupart des molécules testées sur l'ADN agissent sur sa rigidité).
Il a fallu une dizaine d'années pour développer l'outil au sein d'un laboratoire franco-japonais, le Laboratory for Integrated Micro Mechatronics Systems (Limms) (1). Situé au cœur de l'Institut des sciences industrielles (IIS) de l'université de Tokyo, ce fleuron de la recherche nippone en ingénierie a permis à Dominique Collard et à ses collègues de réussir à loger sur un carré de 5 millimètres de côté la partie mécanique de la nanopincette, mais aussi tous les capteurs nécessaires à son fonctionnement. De coût dérisoire malgré sa technicité, la nanopincette pourrait rapidement intégrer la panoplie du biologiste.
L'ADN n'est pas la seule molécule vouée à être "nanopincée". En théorie, toute molécule suffisamment longiligne (2) pour pouvoir être électriquement agrippée l'est aussi. L'équipe du Limms a ainsi pu manipuler les "poutres" qui rigidifient les cellules – les filaments d'actine –, ainsi que les microtubules – des "rails" pour le transport moléculaire dans les cellules.
Cet outil pourrait aussi permettre l'assemblage de polymères et de "nanodots". Ces grains de métal ou d'alliages de taille nanométrique, greffés sur des polymères, forment les briques de nouveaux matériaux destinés à fabriquer des cellules solaires ou des systèmes d'affichage. Physiciens et chimistes ont désormais une facilité d'expérimentation inégalée pour concevoir ces structures.
Notes:
1. Laboratoire CNRS / Université de Tokyo. La mécatronique désigne le mariage de l'électronique et de la mécanique.
2. Il faut que la molécule soit allongée et longue pour être agrippée par les pinces ; si elle est petite, elle se colle sur le bord des pinces et on ne peut pas l'étirer proprement pour tester sa rigidité.
Source: CNRS
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