Le 15 juin avant minuit, plus de 560 000 foyers français devront avoir déclaré le montant de leur « fortune » , après en avoir fait méticuleusement l'inventaire, calculé eux-mêmes le montant de l'impôt à payer et joint leur règlement. Instauré en 1982 par le gouvernement de Pierre Mauroy (sous l'appellation d'« impôt sur les grandes fortunes »), l'ISF (depuis 1988) restera sans doute dans l'histoire de la fiscalité l'impôt le plus stupide jamais imaginé par les élites qui nous gouvernent.
Conçu à l'origine par les socialistes pour redistribuer l'argent des plus riches vers les Français les plus pauvres et financer le RMI, cet impôt a coûté à la France beaucoup plus qu'il ne lui a rapporté. Président de la commission des Finances du Sénat, Philippe Marini estimait en 2007 que « les fuites de bases imposables vers l'étranger » atteignaient environ 2 milliards d'euros par an, soit un peu plus que la moitié du montant de l'impôt collecté, qui a rapporté 3,8 milliards d'euros en 2008. Mais les cabinets d'avocats fiscalistes qui conseillent les contribuables aisés et sont donc à ce titre les mieux informés de leurs décisions et du montant de leur fortune estiment que les sorties de capitaux imputables à l'existence de l'ISF seraient comprises entre 75 et 150 milliards d'euros. Un chiffre confirmé par le ministère de l'Economie et des Finances, qui a évalué à 130 milliards d'euros le capital sorti du pays entre 1997 et 2006, et à sans doute 200 milliards d'euros depuis la création de cet impôt.
A eux seuls, les 20 000 Français ayant choisi de s'expatrier en Suisse auraient fait sortir de France 100 milliards d'euros, soit 5 millions d'euros par foyer. En additionnant l'impôt sur le revenu que ne paient plus en France ces expatriés qui en assuraient la plus grande part, la taxe d'habitation, les droits de succession et la TVA qu'acquittaient ces foyers aux revenus et donc aux dépenses élevés, ce serait 7 milliards d'euros de manque à gagner par an pour l'Etat, soit le double du montant collecté ! Un exemple unique dans l'histoire de la fiscalité qui explique pourquoi la France est aujourd'hui dans l'Union européenne le seul pays à avoir maintenu cet impôt sur le patrimoine et qui illustre à l'extrême les ravages provoqués par l'idéologie dans un pays qui garde l'illusion qu'il faut « faire payer les riches » pour soulager la misère des pauvres.
En fait, écrivait Raymond Barre, l'ISF agit sur l'économie à la manière d'une leucémie. Les gouvernements de la France, de droite comme de gauche, ont en effet tenté une expérience de laboratoire inédite dont l'objet était le suivant, écrit pour sa part Christian Saint-Etienne : peut-on démontrer qu'en portant simultanément un coup terrible aux deux moteurs de la croissance que sont l'accumulation du capital et l'effort au travail on peut casser la dynamique économique d'un grand pays industriel ? Cette expérience unique dans le monde, tentée en 1996-1998 avec la mise en place brutale des 35 heures et le durcissement du régime de l'ISF, a été un franc succès. Elle a cassé la croissance, dégradé nos finances, fait stagner le pouvoir d'achat et chuter de manière historique nos parts de marché à l'exportation. Car, il faut encore le rappeler, les Français qui sont partis-le nombre de Français immatriculés à l'étranger a augmenté de 52 % de 1995 à 2006-n'étaient pas seulement des rentiers oisifs ou des chanteurs et des sportifs à succès, mais aussi des entrepreneurs à fort potentiel qui s'expatriaient avant de céder leur entreprise, donc avant d'être riches, c'est-à-dire avant d'avoir transformé leurs actions non imposables en patrimoine imposable.
Des « jeunes » d'en moyenne 53 ans dont l'ISF a été comme le « poil à gratter » qui a déclenché leur décision d'expatriation.
Si Nicolas Sarkozy s'est fait élire sur l'idée de rupture après un tel délire d'autodestruction, le moins qu'on puisse dire est que l'instrument choisi pour y mettre fin, le « bouclier fiscal », n'a pas été à la hauteur des enjeux. Certes, en permettant aux contribuables redevables de l'ISF d'en réduire sensiblement le montant en investissant dans des petites et moyennes entreprises, l'Etat a pu orienter plus de 70 000 assujettis vers l'investissement productif et apporter ainsi plus de 500 millions d'euros au financement du développement. Reste qu'on peut faire encore plus simple. Il suffirait de supprimer l'ISF et d'augmenter de 4 % la dernière tranche de l'impôt sur le revenu-c'est-à-dire de la porter à 44 %-pour obtenir une recette supérieure à celle que procure aujourd'hui l'ISF, sans compter les recettes que procurerait le retour, cette fois massif, de ceux qui se méfient toujours d'un Etat trop versatile pour inspirer confiance. Augmenter très légèrement un impôt pour supprimer celui qui coûte aussi cher et exaspère autant, n'est-ce pas une solution raisonnable ? Mais qui peut imaginer qu'en France on puisse proposer un débat sur la fiscalité en le plaçant sur le strict terrain de la raison et de l'efficacité ?
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