Yaourts enrichis au bifidus actif, jus de fruits multivitaminés, céréales aux fibres de betterave, oeufs aux acides gras Oméga 3, barres vitaminées, lait enrichi en fer et en calcium... Ces dernières années ont vu fleurir sur les linéaires de nos supermarchés une nouvelle sorte de denrées : les aliments fonctionnels ou alicaments. Comme leur nom l’indique (contraction d’aliment et médicament), les alicaments sont des aliments artificiellement enrichis en nutriments divers, à qui l’on prête une vertu bénéfique pour la santé. Certains rétabliraient le transit intestinal, d’autres lutteraient contre l’excès de mauvais cholestérol ou favoriseraient la croissance osseuse... A chaque fonction de l’organisme correspond un alicament, censé la restaurer ou l’améliorer.
Un bénéfice qui reste à prouver
“On ne se nourrit pas pour se soigner. Nous ne sommes pas dans le domaine de la médecine ou de la thérapie”, explique Gérard Pascal, responsable de la direction nutrition humaine et sécurité alimentaire de l’Inra. Mais “les progrès considérables de la biologie et de la génétique nous permettent de mieux percevoir aujourd’hui les mécanismes qui régissent les relations entre les aliments et le fonctionnement de l’organisme. Aller plus loin dans les connaissances de ces relations est l’une des grandes priorités de l’Inra”, poursuit-il.
Reste donc à prouver que certains aliments fonctionnels améliorent réellement telle ou telle fonction et possèdent une action bénéfique. Or rien n’est moins sûr. Chaque nutriment possède une place définie selon des apports journaliers recommandés. Ceux-ci sont normalement couverts par une alimentation diversifiée. L’intérêt d’une augmentation artificielle de ces apports reste donc (sauf cas particuliers) relatif.
Attention aux extrapolations
Car la nutrition humaine est une science complexe, loin d’être totalement comprise dans son ensemble. Certaines extrapolations peuvent être dangereuses, telle cette expérience de supplémentation en vitamines chez les fumeurs : des scientifiques avaient constaté que des personnes ayant un cancer du poumon, notamment des fumeurs, ingéraient également une alimentation qui contenait moins de vitamines A et E. Ils se sont dit qu’en donnant ces vitamines à des fumeurs, on devrait voir diminuer le nombre de cancers du poumon. Résultats de deux grandes études 1, 2, rassemblant entre 20 000 et 30 000 patients : non seulement il n’y a pas eu d’effet bénéfique, mais c’était même l’inverse ! Il y avait plus de cancers du poumon (entre 15 et 30 % de plus) chez les personnes qui avaient pris les compléments de vitamines ! On n’a pas d’explication complète à cet effet.
En fait, l’alimentation est très complexe. On ne peut donc pas l’assimiler toute à une série de nutriments que l’on pourrait doser au milligramme et au nombre de gouttes à prendre chaque jour. Il peut y avoir des effets imprévus entre différentes composantes.
Pas d’allégations santé
Pour l’instant, en Europe, interdiction est faite aux producteurs d’aliments fonctionnels de présenter leurs produits avec des allégations faisant état de prévention, traitement ou guérison de maladies humaines.
Ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis ou au Japon, où les chewing-gums contre le rhume côtoient des boissons “empêchant le cancer”... De toute façon, cette interdiction européenne n’empêche pas le marché des alicaments d’augmenter de 20 % par an, ni les fabricants de se battre à coup de nouveautés, toutes plus “scientifiquement prouvées” les unes que les autres.
Des alicaments “sérieux”...
Actuellement, des recherches sont en cours pour faire produire à des plantes génétiquement modifiées des vaccins contre certaines maladies humaines. On s’éloigne ici des “alicaments marketing”, pour rentrer de nouveau dans le domaine de la médecine. Par exemple, des chercheurs ont développé une variété de bananier codant pour plusieurs protéines jouant un rôle dans l’immunité des enfants contre les bactéries et virus de la gastro-entérite. Quand on sait que cette maladie cause chaque année la mort de milliers d’enfants du tiers-monde, on ne peut qu’encourager ces recherches.
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