mercredi 11 février 2009

Pas bestial le Neandertal

Il taillait la pierre, pouvait parler... Notre lointain cousin, disparu voilà trente-six mille ans, n'aurait pas été l'attardé longtemps dépeint. De nouvelles découvertes lui assurent un étonnant retour en grâce. On le présente encore dans les manuels scolaires comme une brute velue armée d'un gourdin, front bas, cou épais, démarche voûtée, tel un singe à peine descendu de son arbre. Depuis qu'on a découvert ses restes fossilisés, en 1856, dans une grotte de la région de Düsseldorf, en Allemagne, l'homme de Neandertal n'a cessé de susciter les conjectures sur ses origines, ses moeurs et sa disparition mystérieuse

, voilà quelque 36 000 ans.

La représentation de cette figure mythique de la préhistoire a varié au gré des préjugés de l'époque. Après avoir été dépeint sous des traits simiesques, l'ancêtre fait aujourd'hui l'objet d'un surprenant retour en grâce. Une sorte de réhabilitation argumentée par une série de découvertes récentes qui dressent un nouveau portrait de ce laissé-pour-compte de l'évolution.


des sites abandonnés et réexaminent ses restes grâce aux technologies
les plus sophistiquées: génétique, scanners, modélisation informatique,
analyse isotopique... Les résultats de leurs travaux tendent à prouver
que cet avatar éteint de l'espèce humaine était loin du portrait
désobligeant qu'on en a tracé. Ainsi, son habileté à fabriquer des
armes
et des outils n'aurait pas été si limitée, affirment des
chercheurs britanniques de l'université d'Exeter après avoir comparé
pendant trois ans ses techniques de taille de silex avec celles
utilisées par Homo sapiens. Il aurait même fait évoluer ses procédés
avant que les hommes modernes ne débarquent en Europe, alors qu'on
estimait jusque-là qu'il s'était beaucoup inspiré de ses concurrents.
C'est ce que vient de montrer une paléontologue de l'Institut royal des
sciences naturelles de Bruxelles, Isabelle Crèvecoeur, en datant au
carbone 14 des fossiles retrouvés sur le site de Spy, en Belgique.


Un cerveau plus volumineux que le nôtre


Notre lointain cousin n'était pas non plus un gougnafier dépourvu de
conscience, y compris religieuse. Quand, il y a un siècle, trois
ecclésiastiques passionnés de préhistoire, les abbés Louis Bardon et
Jean et Amédée Bouyssonie, ont mis au jour ce qu'ils croyaient être une
sépulture néandertalienne à La Chapelle-aux-Saints, en Corrèze, les
scientifiques de l'époque leur ont ri au nez. Depuis, pourtant, il a
été établi que le primitif enterrait bien ses morts. Parfois sur des
lits de fleurs, comme l'ont montré des fouilles réalisées dans la
grotte de Shanidar, dans le nord de l'Irak, où l'on a retrouvé des
traces de pollen sous les ossements. Stupide, l'homme de Neandertal?
Que nenni! Son cerveau était plus volumineux que le nôtre et,
contrairement à un autre mythe, il était bel et bien capable de parler.
Une équipe d'anthropologues allemands de l' Insititut Max-Planck de
Leipzig, dirigée par Johannes Krause, a réussi à isoler dans des
échantillons d'ADN de néandertaliens un gène, baptisé FOXP2, jouant un
rôle essentiel dans le développement des aires du cerveau associées au
langage. On a par ailleurs identifié sur un squelette découvert dans
une sépulture à Kebara, en Israël, l'os hyoïde, qui permet
l'articulation des sons.


Le mystère de sa disparition continue d'intriguer. Une équipe
franco-américaine (CNRS et université de Bordeaux pour la partie
française) a publié le 24 décembre une étude qui remet en question une
théorie en vogue attribuant la fin des néandertaliens à une période de
glaciation particulièrement sévère. Les chercheurs ont reconstitué sur
ordinateur le climat de cette époque dans les différentes régions
d'Europe occupées par notre hominidé. Ils ont montré que celui-ci avait
succombé non pas aux rigueurs du froid, mais à la concurrence avec les
hommes modernes venus d'Afrique, bien moins résistants mais plus
évolués...


Après avoir été relégué aux confins de l'animalité, notre cousin
apparaît donc aujourd'hui paré de toutes les vertus de l'humanité
moderne. Au point que certains préhistoriens en viennent à affirmer que
peu de choses le distingueraient d'un honnête bourgeois si on le
croisait aujourd'hui dans le métro vêtu d'un costume-cravate. Mais
d'autres spécialistes commencent à s'agacer de cette neandertalomania
naissante. "A l'époque coloniale, on soulignait son caractère primitif,
en écho aux théories racistes d'alors; aujourd'hui, le balancier est
reparti dans l'autre sens, avec beaucoup de fantasmes et
d'exagérations", estime Jean-Jacques Hublin, professeur d'anthropologie
et directeur du département de l'évolution humaine à l'Institut
Max-Planck, qui vient de publier un livre sur l'histoire de l'humanité
(1). Sans pitié pour l'enthousiasme débridé des "réhabilitateurs", il
affirme que bon nombre de découvertes récemment médiatisées sont à
prendre avec des pincettes. Les rites funéraires? On en a observé des
formes embryonnaires chez certains primates et d'autres animaux. Les
techniques de taille de pierre ? L'identification des artefacts
néandertaliens reste sujette à caution, surtout dans la période
tardive, et rien ne prouve qu'ils ne se sont pas inspirés des hommes
modernes avec qui ils ont cohabité pendant 4 000 ans. Quant à l'aspect
"civilisé" qu'on voudrait leur prêter aujourd'hui, cela fait carrément
sourire l'anthropologue: "Si vous en croisiez un dans le métro, vous
tireriez aussitôt la sonnette d'alarme!"


Y a-t-il eu des croisements entre les néandertaliens et Homo sapiens?


La morphologie de l'homme de Neandertal s'apparentait effectivement
à celle d'un vigile de boîte de nuit fondu de culturisme: très massif
et musclé, son organisme était aussi extrêmement gourmand en énergie.
On a calculé qu'il consommait près de 5000 kilocalories par jour, soit
l'équivalent de ce que brûle un coureur du Tour de France sur une étape
de montagne! Quant au volume de son cerveau, le plus gros qu'un
hominidé ait jamais possédé, il ne représentait en fait, une fois
rapporté à la masse corporelle, que trois cinquièmes du nôtre. Il
semble aussi que la croissance des enfants néandertaliens était plus
rapide que celle des humains modernes, comme le suggèrent deux études
récentes à partir des microstructures des dents, impliquant un temps
d'apprentissage plus court que le nôtre, et donc des capacités mentales
plus limitées.


Reste enfin la grande question: y a-t-il eu des croisements entre
les néandertaliens et Homo sapiens? Notre patrimoine héréditaire
porterait-il encore des traces de l'hominidé, ou bien les deux espèces
se sont-elles ignorées totalement? Les chercheurs de l'Institut
Max-Planck se sont attelés au décryptage intégral de l'ADN des fossiles
de huit individus retrouvés dans la grotte d'El Sidron, en Espagne,
dans un état de conservation exceptionnel. Le 15 février, ils vont
présenter à Leipzig leurs premiers résultats : une séquence
représentant 65% du génome. "On devrait bientôt avoir le fin mot sur un
bon nombre de questions", promet Jean-Jacques Hublin. 36 000 ans plus
tard, le suspense continue.


(1) Quand d'autres hommes peuplaient la Terre. Nouveaux regards sur nos origines. Flammarion.

source

    Choose :
  • OR
  • To comment
2 commentaires:
Write comments
  1. Si on en ressuscitait un, de Néanderthalien, et qu'on le présentât à M. Hublin, je doute fort que ce dernier oserait lui lancer ses théories pour le moins capillotractées et contestables en pleine face de peur de recevoir, en retour, l'argumentation qu'elles méritent !
    Cetes, il est de bon ton de réhabiliter Néandertal. Où est le mal ? Cet homme n'était pas idiot, il avait des sentiments, une conscience, de la sensibilité et faisait montre d'innovation. Évidemment il était bâti comme un Fort des Halles et avait une drôle de bobine. Cela suffit-il pour le dénigrer ainsi que le fait M. Hublin ? C'est étrange, ce savant est pourtant capable de reconnaître qu'à l'origine du mal il y a le colonialisme et la dévalorisation des autres hommes par rapport aux Européens Blancs d'une essence voulue à l'époque supérieure, et pourtant, il retombe dans les excès du dénigrement de Néandertal... Si on appliquait ses arguments aix Africains, Asiatiques etc..., il pourrait avoir de très gros problèmes et les procès pour propos racistes pleuvraient sur lui comme des hallebardes !
    Non ce n'est pas du politiquement correct de penser Néandertal comme une sorte de frère disparu, comme un être humain, tout simplement, c'est qu'il s'avère que nous sommes très près, tout près de lui, et que c'est visiblement notre intolérance et notre méchanceté, le délit de sale gueule aussi qui l'ont exterminé, ce dont nous n'avons vraiment pas lieu d'être fiers, tout comme des méfaits passés du colonialisme d'ailleurs...
    Néandertal est notre reflet, le reflet de nos phantasmes les plus sordides comme celui de notre mauvaise conscience. C'est pour cela qu'il est à la fois si passionnant, si fascinant, et si effrayant pour certains qui doivent avoir peur du balayeur Malien en bas de chez eux, de l'épicier Tunisien, ou de leur concierge Portugaise...
    Cher Internaaze, cet article est génial, merci !
    A bientôt, Tinky :-)

    RépondreSupprimer
  2. Je suis, moi aussi, terriblement choquée par les propos de M Hublin. Aller affirmer que si on en croisait un dans le métro, on tirerait la sonnette d'alarme... Je ne vois pas du tout pourquoi ! Et par ailleurs, je viens de découvrir sa tronche, à LUI, et il n'y a pas de quoi se vanter !
    D'accord, je l'admets : c'est petit, comme argument ! Plus sérieusement, je n'irais pas jusqu'à affirmer qu'un Néanderthalien vêtu à l'européenne serait à confondre avec un sapiens sapiens mais ce propos d'Hublin est ignoble !
    Les Néanderthaliens étaient juste des gens plus solidement bâtis que nous avec une tronche un peu paticulière : rien de plus ! Ce n'est pas être politiquement correct que de dire ça !
    On dirait que les Néanderthaliens lui ont fait ou pris quelque chose pour qu'il en fasse ainsi une affaire personnelle ! J'avoue que je ne comprends pas cet état d'esprit.

    RépondreSupprimer