Rien ne semblait prédisposer ce petit singe né dans un recoin de l’Afrique à conquérir la planète. Il y a 2,5 millions d’années, Homo habilis se contentait de tailler grossièrement des galets et de marcher avec la grâce d’un marin ivre. Et, pourtant, quelle incroyable épopée démographique que celle de ses descendants ! Ils partirent quelques milliers, mais par un prompt renfort ils se voient 6,8 milliards en arrivant au port d’aujourd’hui. Pourtant, cette longue marche victorieuse a bien failli s’interrompre à plusieurs reprises.
Justement, en janvier, on apprenait dans les PNAS (comptes rendus de l’Académie des sciences américaine) que l’homme avait manqué de disparaître avant même d’être né. Grâce à de savants calculs basés sur la fréquence de certains gènes, des généticiens de l’université de l’Utah estiment que la population d’ Erectus (successeurs des Habilis ) a chuté à 18 500 adultes il y a 1,2 million d’années. Ce qui leur fait frôler l’extinction, compte tenu de leur dispersion sur tout l’Ancien Monde. Mais la race humaine a la peau dure, elle a survécu à ce goulet d’étranglement et même à plusieurs autres. Le plus récent, toujours révélé par l’ADN, date de seulement 70 000 ans, quand Homo sapiens tombe à 10 000 individus ! Sans doute à la suite de l’éruption du supervolcan indonésien Toba, qui a plongé la planète dans un hiver nucléaire durant plusieurs années.
Mais ces accidents de parcours ont à peine ralenti l’expansion humaine, sur laquelle les paléontologues continuent à s’interroger. Le premier atout des Homo est certainement leur mode d’alimentation carnivore et omnivore, qui les rend aptes à se nourrir dans des milieux divers. La bipédie les aide à explorer le monde. Mais, surtout, les Homo profitent du développement de leur cerveau, et donc de leur intelligence. « On a remarqué l’existence d’une relation entre la taille des crânes fossiles et celle de la population. En effet, plus le cerveau est volumineux, plus l’intelligence augmente. L’homme invente de nouvelles techniques pour mieux se nourrir. Cette intelligence lui permet aussi de vivre dans une société plus complexe, plus nombreuse. Et, quand son milieu est saturé, il ose migrer »,explique Jean-Pierre Bocquet-Appel, paléodémographe au CNRS (1).
Un exemple : quand nos ancêtres Habilis deviennent suffisamment finauds pour améliorer l’efficacité des galets en les taillant, leur effectif double en passant de 1 individu pour 100 000 par an à 2. C’est une poussée énorme pour l’époque, qui les amène à conquérir de vastes territoires africains. Ils auraient pu atteindre 100 000 individus répartis en plusieurs groupes distincts. C’est une estimation basée sur le nombre de fossiles retrouvés, sur la productivité alimentaire des territoires qu’ils occupaient et sur une comparaison avec la densité des populations actuelles de chasseurs-cueilleurs. L’ Homo habilis continue à se redresser et à grossir du cerveau, il devient alors Homo ergaster. Ce dernier a des fourmis dans les jambes. Quand les hommes deviennent trop nombreux pour l’Afrique, voilà quelque 2 millions d’années, ils sautent en Asie, puis en Europe. Dès lors, les paléontologues le nomment Erectus. « La colonisation de la planète s’est déroulée par pulsions, d’une façon saccadée », constate Jean-Pierre Bocquet-Appel. Au gré des humeurs climatiques.
Grosse tête. Dans un premier temps, Erectus se contente de coloniser les latitudes chaudes de l’Eurasie, dont le climat est identique à celui du continent noir. Au bout d’un million d’années, notre homme gagne encore en intelligence et en habileté technologique, il s’installe alors en zone tempérée. Cette première humanité cosmopolite pourrait avoir compté entre 500 000 et 700 000 individus, soit un peu moins que le nombre actuel de Marseillais.
Voilà trois cent mille ans, l’ Ergaster, qui est resté en Afrique, prend vraiment la grosse tête. Et se transforme en Sapiens. Vers - 50000, cet homme moderne éprouve lui aussi le besoin d’explorer le monde. Il profite de la baisse du niveau des océans lors de périodes glaciaires (l’eau est alors piégée dans les calottes polaires) pour passer également en Amérique et en Australie. Son intelligence technologique lui ouvre tous les milieux, depuis le Grand Nord arctique jusqu’au sommet des montagnes en passant par les déserts. Lors de sa conquête du monde, il rencontre les descendants des Erectus de la première vague migrante, le Néandertal d’Europe (environ 250 000 individus) et l’homme de Java en Asie (peut-être 100 0000). Mais ceux-ci disparaissent pour des raisons incertaines, guerres, manque d’adaptation aux modifications climatiques ou autres.
Certains paléontologues, dont Yves Coppens, contestent cette vision d’un Homo sapiens né exclusivement en Afrique. Leur théorie, c’est une naissance simultanément dans plusieurs régions du monde, à partir de populations locales d’ Erectus . Quoi qu’il en soit, voilà 40 000 ans, Homo sapiens règne en maître sur Terre, avec peut-être 1,5 million d’individus. Lentement mais sûrement, la population humaine augmente ! Mais la réelle explosion démographique se produit au néolithique ( - 9000), avec l’invention de l’agriculture et de l’élevage. « Dès qu’on a de la bouffe à la maison et de la viande dans l’étable, on peut faire des gosses », résume Yves Coppens. En deux millénaires, la population du Moyen-Orient décuple, passant de 500 000 à 5 millions d’habitants ! Cette bombe démographique se propage de proche en proche dans toute l’Europe. Entre - 4000 et - 2000, les Européens passent de 2 à 23 millions d’individus. Le même phénomène se produit en Chine, au Japon, en Amérique, en Inde et même au Sahel.
A l’âge du bronze, cette fulgurante ascension humaine est enrayée par l’avènement des premiers grands conflits. « On se bat pour la propriété des sites métallifères. Le cuivre et l’étain étaient le pétrole de l’époque », s’amuse Yves Coppens. Mais, bien vite, la croissance repart et la barre des 100 millions d’habitants est franchie vers 2000 avant J.-C. Plus rien ne peut stopper la boule de neige démographique, pas même les épidémies, les désastres climatiques, les invasions et les conflits.
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