lundi 17 août 2009

Une bombe atomique perdue

Le fuselage de ce souvenir de la guerre froide reluit au loin dans un marécage aux pieds des monts Otish, au nord de Chibougamau et au sud de la rivière La Grande, à la baie James.

© Journal de Montréal/Dany Doucet



source.




Le gouvernement du Canada ne retrouve aucune trace dans ses archives de l'écrasement d'un bombardier des forces armées américaines dans le Nord du Québec durant la guerre froide, bien qu'il existe bel et bien une carlingue d'un B-29 au nord du Lac Mistassini que l'histoire semble vouloir oublier.

Aucune des demandes d'accès à l'information logées par Le Journal de Montréal auprès du ministère canadien de la Défense n'a encore porté ses fruits, malgré près de 500 pages de documents obtenues.

Une demande d'accès formulée auprès du Department of the Air Force du ministère de la Défense des États-Unis n'a rien donné non plus.



Enfin, les sites internet qui répertorient les accidents d'avion ne font pas état de ce bombardier à l'effigie de la USAF, immatriculé 0-22685, qui s'est abîmé dans un marécage au pied des monts Otish, à 800 km à vol d'oiseau au nord de Montréal.

Bref, c'est comme si cet écrasement ne s'était jamais produit. Pourtant, il est bien là, comme a récemment pu le constater une équipe du Journal de Montréal.

Il faut dire qu'à cette époque de la guerre froide, c'était le genre d'événements qu'on gardait secrets.

Les Américains ne voulaient pas qu'on sache que des armes atomiques étaient transportées dans des bases au Canada, ou au-dessus du territoire, vers d'autres destinations tout aussi secrètes.

Toutefois, avec le trafic aérien de plus en plus fréquent depuis quelques années entre Chibougamau et les monts Otish, où hélicoptères et hydravions transportent de nombreux géologues et prospecteurs à la recherche de diamants, d'or et d'uranium, le site de l'écrasement devient de plus en plus connu.

UN INCENDIE À BORD?

Par une belle journée ensoleillée, le fuselage d'aluminium reluit d'ailleurs au loin, au milieu d'un marais.

Une aile s'est décrochée lors de l'impact et l'avion s'est cassé en deux. Une des quatre hélices est plantée debout un peu plus loin, le train d'atterrissage aussi.

La cabine de pilotage et une partie de l'avion ont été incendiés, mais on ne sait pas très bien si ce sont les Américains qui sont retournés sur les lieux après l'accident pour faire disparaître le plus de traces possible de leurs secrets militaires.

«On m'a toujours dit que l'avion avait pris feu et que les pilotes avaient réussi à sauter en parachuter après avoir mis l'autopilote pour qu'il s'écrase dans le Nord du Québec», relate Gilles Dionne, un pilote de brousse qui arpente cette région depuis 35 ans.

L'avion transportait une demi-douzaine de membres d'équipage.

UN ACCIDENT DE RAVITAILLEMENT

Ce qu'il s'est passé exactement, personne ici ne semble le savoir avec certitude. Il doit cependant exister un rapport d'accident quelque part. Peut-être pas au Canada, mais très certainement aux États-Unis.

Paulo Trottier, un citoyen de Normandin, au Lac-Saint-Jean, a trouvé le site du crash il y a plusieurs années après l'avoir longtemps cherché en avion. De vieux pilotes lui en avaient parlé, mais peu d'entre eux pouvaient lui indiquer le site avec précision.

M. Trottier a passé plusieurs semaines à travailler sur la carlingue dans l'espoir de rapatrier chez lui quelques morceaux, dont au moins un moteur.

Il y a transporté des outils et y a monté un campement. Il y est allé en avion, été comme hiver, et même en motoneige, une expédition pour connaisseurs.

Selon lui, cet écrasement est survenu en 1954.

«C'est un B-29 transformé en avion de ravitaillement en vol, explique-t-il.

«À cette époque, les B-29 n'avaient pas assez d'autonomie en carburant et on avait transformé des avions en leur ajoutant un genre de bedaine pour mettre du carburant pour ravitailler en vol», raconte cet homme de 63 ans, qui a fait plusieurs recherches sur le sujet.

Devenu le KC-97, l’avion était équipé de quatre énormes moteurs radiaux de 28 cylindres Pratt & Whitney développant 3500 chevaux, au lieu des 2300 du moteur Wright des B-29 conventionnels.

Comme chaque moteur pèse 4600 livres, Paulo Trottier n’a jamais réussi à les rapporter. Il en a buriné un à son nom dans l’espoir de le transporter, un jour, attaché sous un hélicoptère.

DES BOMBES ATOMIQUES DANS LE CIEL

Cet accident toujours visible rappelle qu’il y a déjà eu beaucoup plus d’activités militaires et nucléaires qu’on le pense, durant la guerre froide, dans le ciel du Québec.

En novembre 1950, un bombardier B-50 éprouvant des problèmes mécaniques avait dû laisser tomber une bombe nucléaire dans le fleuve Saint-Laurent, à la hauteur de Rivière-du-Loup. L’ogive nucléaire n’était fort heureusement pas installée sur la bombe, comme c’était la pratique lors de ce type de transport. L’ogive était habituellement placée à l’intérieur de la bombe juste avant une attaque.

Quoi qu’il en soit, les riverains des deux côtés du fleuve avaient très bien vu et entendu l’explosion de la bombe MK IV, le modèle qui a suivi les MK III lâchées sur Hiroshima et de Nagasaki, et qui était deux fois plus puissante. Quelque 45 kilos d’uranium avaient alors été dispersés dans l’eau et dans l’air, à 2500 pieds du sol.

Vers 16 h, un immense flash orangé avait illuminé le ciel. Une fumée jaune s’était dégagée et les maisons situées entre Saint-André-de-Kamouraska et Saint-Siméon, de chaque côté du fleuve, avaient tremblé. L’affaire n’était évidemment pas passée inaperçue et avait été rapportée dans les journaux de l’époque.

DES BOMBES STOCKÉES AU LABRADOR

Les documents obtenus par le biais de la loi d’accès à information relatent que la bombe contenait aussi 2200 kg d’explosifs puissants pour faire détonner l’ogive nucléaire. Cette bombe pesait pas moins de 10 900 livres.

Les 12 membres d’équipage du B-29, qui était plein d’essence et transportait cette lourde bombe, ne pouvaient pas poursuivre leur vol à destination s’ils ne se délestaient pas de leur cargaison, selon la documentation de l’époque. Le bombardier avait perdu deux de ses quatre moteurs et peinait à conserver son altitude.

Dans un de leurs nombreux rapports consultés par Le Journal, les pilotes ont raconté avoir perdu de l’altitude jusqu’à 10 500 pieds pour vérifier de visu s’il n’y avait pas des bateaux sur le fleuve et pour s’aligner en plein milieu des deux berges du Saint-Laurent pour laisser tomber la bombe, tel que leurs supérieurs le leur avaient ordonné. Le fleuve fait 12 milles de large à cet endroit.

Le B-50 revenait de Goose Bay, où au moins 11 bombes nucléaires étaient stockées. Il volait sur un cap sud pour rentrer vers une base aux États-Unis. D’ailleurs, trois autres bombardiers avaient éprouvé des problèmes à leur retour, mais de l’autre côté de la frontière. Le Canada avait loué l’aéroport de Goose Bay aux Américains.

George Ignatieff, le père de l’actuel chef du Parti libéral du Canada, était ambassadeur du Canada à Washington à l’époque et il a signé plusieurs mémos parmi les documents de l’époque au sujet des permissions accordées aux Américains.

Les États-Unis ont produit 550 bombes atomiques MK IV. Cinq d’entre elles ont été perdues, dont une au-dessus du Québec. Cinq autres ont servi à des tests. Avant ce modèle de bombe atomique, il était impossible d’assembler l’ogive nucléaire en vol. La nouvelle technologie a donc sauvé le Québec d’une catastrophe nucléaire.






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