vendredi 27 mars 2009

Des algues miraculeuses




Les algues superstars ! À la Station biologique de Roscoff, les chercheurs n'en finissent plus de découvrir leurs étonnantes propriétés. Un livre répertorie ces drôles de végétaux intéressants tant pour la que pour les industries agroalimentaire, pharmacologique et cosmétique... Un engouement qui ne devrait pas se tarir de sitôt si l'on en juge par les dernières découvertes réalisées.

Quelque part sur la côte bretonne, à marée basse... Comme souvent ici, des silhouettes semblent explorer les champs d'algues marines – laminaires, fucus, pioka, etc. – qui recouvrent la plage , et s'étendent jusqu'au pied d'un bâtiment: la Station biologique de Roscoff, implantée ici depuis 1872. "C'est un lieu que tous les spécialistes du monde connaissent, pour la diversité de ses algues et son passé scientifique", affirme Nathalie Simon, qui étudie la biodiversité marine au Laboratoire "Adaptation et diversité en milieu marin" de Roscoff 1. "Au début, les scientifiques de Roscoff travaillaient sur la taxonomie, faisaient des inventaires2, poursuit Catherine Boyen, directrice du laboratoire "Végétaux marins et biomolécules"3. Aujourd'hui, on a accès au génome d'une algue brune, et bientôt à celui d'une algue rouge. Comme ces algues sont très différentes des autres végétaux, cela attire la curiosité de nouvelles communautés scientifiques, spécialistes des plantes terrestres ou de l'évolution."

L'intérêt pour les algues semble donc connaître un nouvel élan du côté non seulement des chercheurs mais aussi des industriels. À la clé: des biomolécules inédites pour les yaourts, les crèmes de beauté ou encore les médicaments.

Si les algues vertes sont à l'origine de la "lignée verte" et des plantes terrestres, les algues brunes et les algues rouges ont évolué de façon totalement indépendante et restent mal connues. "Il y a autant de distance évolutive entre une algue brune et une plante terrestre qu'entre une algue brune et un animal , s'amuse à dire Catherine Boyen. En collaboration avec le Genoscope d'Évry, les scientifiques de son laboratoire ont donc entrepris le séquençage de l'algue brune filamenteuse Ectocarpus siliculosus et celui de l'algue rouge Chondrus crispus. "On a désormais accès au génome entier d'une algue brune, précise-t-elle. On va décortiquer son développement et essayer de comprendre comment cette lignée est devenue multicellulaire au cours de l'évolution, indépendamment des quatre autres lignées multicellulaires existantes: algues rouges, plantes vertes, champignons et animaux."

Ayant suivi leur propre évolution, les algues brunes et rouges recèlent des molécules uniques en leur genre. "Certaines sont par exemple de vraies usines à polysaccharides. Ces sucres, que l'on ne trouve nulle part ailleurs, sont utilisés depuis longtemps comme gélifiants ou épaississants dans les industries agroalimentaire et cosmétique", explique Catherine Boyen. Mais ils pourraient trouver bien d'autres applications. La preuve avec cet exemple étonnant: certains de ces sucres ont la capacité d'agir comme un "vaccin" pour les plantes cultivées et de les protéger contre les pathogènes. "Traditionnellement, les agriculteurs bretons utilisent du goémon (mélange d'algues) comme engrais et ils ont observé que leurs légumes étaient souvent en meilleure santé, poursuit la chercheuse. On a finalement découvert que c'étaient les sucres des algues qui stimulaient les défenses des plantes et on a mis au point , avec la société Goëmar, un produit phytosanitaire à partir de ces molécules."

Aujourd'hui, les recherches se tournent également vers les bactéries friandes d'algues, qui ont développé au fil du temps tous les outils enzymatiques nécessaires pour dégrader les sucres de leurs hôtes... et qui pourraient venir en aide aux industriels. "Ces enzymes permettent de couper et de modifier les polysaccharides de façon très précise, bien plus qu'avec les méthodes chimiques ou mécaniques actuellement utilisées", explique Catherine Boyen. À terme, les industriels pourraient ainsi exploiter certaines de ces enzymes pour manipuler les polysaccharides extraits des algues et obtenir, par exemple, des gélifiants plus consistants. Pour l'instant, les gènes sont identifiés un à un, et les enzymes correspondantes brevetées.

Autres molécules singulières étudiées par les chercheurs: celles émises par les algues lorsqu'elles sont agressées. Soumises au stress quotidien des marées montantes et descendantes mais également aux attaques des "brouteurs" (oursins, poissons et coquillages), les algues ont mis en place des mécanismes d'adaptation et de défense uniques dans le monde végétal. "Il semblerait, par exemple, que les laminaires concentrent l'iode de l'eau de mer et le relâchent dans l'atmosphère en période de stress. Cet iode pourrait alors participer à la formation locale de nuages", illustre Catherine Boyen. Une preuve de plus que les algues n'ont pas fini de nous surprendre.

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