BIALOWIEZA (Pologne) - Entre les troncs sombres d'une forêt primitive enneigée s'avancent lentement les silhouettes massives de dizaines de bisons, comme sortis tout droit de la préhistoire.
Les colosses à la toison épaisse envahissent peu à peu une clairière à l'appel de gardes forestiers polonais venus déverser une tonne de foin et des betteraves à sucre pour compléter leur alimentation.
"L'hiver, nous les nourrissons pour qu'ils ne détruisent pas la végétation et n'aillent pas s'égarer à la recherche d'aliments dans les exploitations agricoles", explique Miroslaw Androsiuk en déficelant des balles de paille.
Quelque 800 bisons vivent en liberté dans le vaste massif de Bialowieza situé entre Pologne et Bélarus, vestige de la forêt qui a recouvert l'Europe après la dernière période glaciaire achevée il y a quelque 10.000 ans. Ils sont plus de 450 côté polonais.
Mais ces cousins du bison d'Amérique, à la silhouette plus élancée, sont de véritables miraculés toujours en péril. Leur population de plus de 700 individus dans la forêt de Bialowieza avant la Première guerre mondiale a été massacrée jusqu'au dernier par les divisions allemandes et les braconniers locaux. Ce n'est qu'à partir de sept individus en captivité qu'elle a été reconstituée.
"Ces bisons ont donc une forte consanguinité qui peut conduire à la disparition de tout le groupe", déplore le chef des gardes forestiers Jerzy Dackiewicz.
"Cette faible diversité génétique peut poser des problèmes à l'avenir, par exemple si apparaît une maladie contre laquelle ils n'ont plus les gènes nécessaires pour se défendre", explique Rafal Kowalczyk, chercheur de l'Académie des sciences de Pologne, basé à Bialowieza. Il dit cependant ne constater actuellement aucun signe de dégénérescence due à la consanguinité.
Le parc maintient une trentaine d'animaux isolés en captivité pour permettre si nécessaire de recréer l'espèce et il abat les spécimens malades en liberté.
"Nombre de chercheurs estiment que l'effectif minimum d'un groupe pour assurer la pérennité à long terme est de 500 voire 1.000. Donc même la population de Bialowieza ne suffit peut-être pas", s'inquiète M. Kowalczyk.
La politique est venue s'en mêler et aggraver la situation. Les bisons polonais ne peuvent plus se croiser avec ceux du Belarus depuis l'installation d'une clôture le long de la frontière polono-soviétique en 1981 par une URSS inquiète des mouvements pro-démocratiques du syndicat polonais Solidarité, note-t-il. Elle est maintenue entre l'Union européenne et le Bélarus de l'autoritaire président Alexandre Loukachenko.
Il existe actuellement en Europe 28 troupeaux en liberté, en Pologne, Russie, Ukraine, au Belarus, en Lituanie et récemment en Slovaquie, dont la plupart comptent moins de 100 individus. Un groupe originaire de Bialowieza vit en semi-liberté en Lozère dans le centre de la France.
Contrairement à l'auroch et au mammouth, le bison a traversé les âges depuis la préhistoire allant jusqu'à occuper toute l'Europe, de l'Espagne à l'Oural, avant de disparaître progressivement au gré du développement de l'agriculure, repoussé vers des régions encore boisées.
Sa chasse devient un privilège royal et sauve du défrichement la forêt de Bialowieza, proclamée au 15è siècle terre de chasse des rois de Pologne avant d'être celle des tsars de Russie après le partage du pays en 1795.
Un privilège des grands de ce monde qui semble avoir perduré. "La chasse au bison est à présent interdite", affirme un des gardes forestiers. Mais interrogé sur des fuites qui avaient révélé la présence du roi d'Espagne Juan Carlos dans la forêt en 2004, il répond quelque peu gêné: "à part quelques exceptions accordées à des personnalités".
(©AFP / 21 février 2009 06h13)
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