MATIERE. La vie n'est pas la seule à avoir évolué, assurent des scientifiques américains de haut vol. Les minéraux aussi se sont diversifiés au cours des âges pour gagner peu à peu en complexité, sur la Terre notamment.
Les minéraux aussi évoluent. Certes, contrairement aux êtres vivants, ils ne connaissent ni mutations génétiques ni transmissions héréditaires de leurs caractères. Mais ils changent avec le temps. Mieux: au fur et à mesure que se transforme leur milieu, ils se multiplient et se diversifient pour devenir toujours plus complexes. Telle est la passionnante leçon d'un article récemment paru dans American Mineralogist (la principale revue de référence dans le domaine) sous la plume de huit chercheurs américains et canadiens menés par Robert Hazen de l'Institut Carnegie à Washington.
«C'est là un extraordinaire travail de compilation et de mise en perspective, s'enthousiasme Bernard Grobéty, professeur de minéralogie et de pétrographie à l'Université de Fribourg. S'il ne relate aucune découverte à proprement parler, il interprète de manière brillante les connaissances acquises à ce jour pour retracer des milliards d'années d'histoire de la matière. Nul doute que de nombreux enseignants de par le monde vont s'en inspirer pour revoir leurs cours.»
La minéralogie s'est longtemps limitée à décrire des propriétés chimiques et physiques. Robert Hazen et ses pairs l'invitent à se réinventer en s'inscrivant dans le temps.
• La naissance de la matière
Pour comprendre cette très longue histoire, il est nécessaire de remonter au passé le plus lointain, soit à l'époque qui a immédiatement succédé au fameux Big Bang, le début de l'univers. L'espace n'abrite alors que les deux substances les plus simples du tableau périodique des éléments, l'hydrogène et l'hélium, rappelle Bernard Grobéty. Mais comme ces deux gaz n'y sont pas distribués de façon homogène, ils se déplacent sous l'effet de la gravitation et s'agrègent ici et là pour former d'énormes étoiles, les géantes rouges. Ils rencontrent alors des températures et des pressions si élevées que leurs atomes se déstructurent et fusionnent pour en créer d'autres et donner naissance, du lithium au fer, à 24 autres éléments.
Aussi imposantes soient-elles, ces étoiles ne sont pas éternelles pourtant. Elles meurent dans des explosions titanesques, baptisées supernovæ, qui provoquent des dégagements de chaleur et de pression encore nettement supérieurs à celles des géantes rouges. En résultent des dizaines de nouvelles combinaisons d'atomes et donc de nouveaux éléments. L'univers possède désormais abondance de matière première. Il est prêt à produire ses premiers minéraux.
• Les protominéraux
Un minéral, rappelons-le, est un agrégat de matière à la composition chimique et à la structure cristalline particulières - autrement dit certains atomes réunis dans certaines proportions selon un certain agencement. Au cœur des nébuleuses primitives en voie de refroidissement, les atomes continuent à subir les effets de la gravitation. Mais, beaucoup plus variés qu'auparavant, ils vont former, en s'agrégeant, de nouvelles entités. L'hydrogène et l'hélium avaient produit des formations gazeuses. Leurs descendants vont donner naissance à des corps solides, les tout premiers minéraux, une douzaine en tout, appelés protominéraux.
Il s'agit encore de particules minuscules, souvent microscopiques. Mais elles sont au règne minéral ce que les premières cellules sont au vivant. Produit d'un processus de cristallisation, soit de transformation directe d'un gaz en solide, elles s'appellent moissanite, forsterite, etc. et apparaissent il y a plus de cinq milliards d'années. Peut-être beaucoup plus. En tout cas bien avant la naissance de notre système solaire.
• Poussières d'espace
Les particules primaires se mettent à leur tour à s'agréger. Et, sous l'effet de deux forces éternelles, la gravitation et les changements de température, elles donnent naissance à des corps toujours plus grands, de millimétriques à kilométriques, puis à des astres comme le Soleil et la Terre. L'espace se diversifie. De nouveaux atomes s'assemblent. Les premiers corps solides s'altèrent au contact de gaz. Une seconde génération de minéraux apparaît en même temps que notre système solaire. Il s'en compte bientôt 250, dont la troilite et l'olivine.
Les espèces minérales mettent beaucoup plus de temps à se former que les espèces vivantes. Une fois apparues en revanche, elles présentent une résistance nettement supérieure. Ces 250 minéraux primitifs nous sont ainsi parvenus. S'ils sont devenus minoritaires et souvent difficiles à trouver sur Terre, ils règnent dans l'espace interplanétaire, où les mêmes conditions chimiques et physiques se perpétuent invariablement. Les météorites en sont des concentrés émouvants. Elles ne constituent pas seulement pour l'homme une plongée dans l'espace lointain. Composées exclusivement des minéraux les plus primitifs, elles représentent aussi un extraordinaire voyage dans le temps.
• Premiers intraterrestres
Le système solaire prend lentement forme. En son centre, une énorme boule d'hydrogène et d'hélium. Tout autour, des planètes aux compositions chimiques, qui varient suivant leur masse. La Terre, trop petite pour retenir en quantités importantes les gaz les plus volatils, a déjà certains traits propres. Mais il lui reste à se construire l'identité qu'on lui connaît aujourd'hui.
A son origine, il y a 4,5 milliards d'années, elle est bouillante et liquide. Et comme toute soupe, elle va être brassée. La pesanteur enfonce bientôt ses ingrédients les plus lourds, le fer et le nickel notamment, vers son centre, et remonte vers sa surface ses éléments les plus légers, dont le silicium, le magnésium et l'oxygène. Séparations ici, rapprochements là: des mélanges inédits se produisent. Puis le magma de surface se durcit, des gaz s'échappent du sol, le H2O se liquéfie. La Terre se dote d'une croûte, d'une atmosphère et d'un océan. La voici désormais unique dans le système solaire. La voici planète bleue. Et dans son laboratoire se sont fabriqués de nouveaux minéraux. Cette fois, même les autres planètes ne suivent plus. Mercure et la Lune, trop figés, sont largués. Vénus et Mars, malgré leur activité volcanique, restent à distance respectueuse. «Avec les quartz, avec le sel, une troisième génération est apparue», explique Bernard Grobéty. Le processus dominant est cette fois la solidification, soit le passage du liquide au solide. C'est la première génération «intraterrestre». Le nombre de minéraux s'élève alors à 800.
• Du solide au solide
La surface de la Terre s'est durcie. Celle des continents, dite granitique, se compose pour l'essentiel de nouveaux minéraux, tandis que le fond des océans, dit basaltique, est formé d'un mélange d'anciens et de nouveaux. Mais les couches intérieures de la planète n'ont pas suivi la même évolution. La croûte repose sur un manteau visqueux et instable, qui la déplace et la soumet à toutes sortes de pressions. Un phénomène apparu il y a quelque 3,5 milliards d'années et connu sous le nom de tectonique des plaques.
Or, cette réalité, spécifique à la Terre, va marquer profondément le monde minéral. Quand la pression souterraine devient trop forte, la croûte se brise et, bousculée par le magma qui se précipite dans la faille, bascule en partie dans le manteau. Beaucoup des minéraux ainsi emportés se transforment au contact de températures et de pressions inhabituellement élevées. Et donnent naissance à de nouvelles espèces dites «métamorphiques» (comme le grenat), issues d'un processus de recristallisation, soit d'un passage du solide au solide. Le nombre de minéraux a doublé pour s'élever à quelque 1500.
• Marqués par la vie
Une nouvelle révolution attend la Terre cependant. Certainement la plus remarquable de toutes. L'apparition de la vie. L'événement, qui survient il y a trois milliards d'années, n'a d'abord que peu d'influence sur les minéraux. Mais lorsque la biomasse explose cinq cents millions d'années plus tard, elle remplit rapidement l'atmosphère d'un nouvel et très important agent d'altération: l'oxygène, au fort pouvoir oxydant sur des métaux tels le fer, le cuivre ou le nickel.
«C'est ainsi que la vie, favorisée par l'apparition de certains minéraux comme l'argile, a fini par favoriser elle-même l'apparition de minéraux», commente Bernard Grobéty. Et ce dans de très fortes proportions puisque, sous son influence, le nombre d'espèces a pratiquement triplé pour passer de 1500 à près de 4500 aujourd'hui (quelque 4300 répertoriées officiellement, et 50 découvertes par an).
• Tout est lié
A la lueur de cette histoire, la Terre fait une fois de plus figure d'exception. Non contente de disposer d'un champ magnétique puissant, non contente de posséder une atmosphère substantielle, non contente de renfermer de l'eau, non contente d'abriter la vie, elle se révèle aussi incomparablement riche en minéraux. L'un des grands mérites de Robert Hazen est de montrer qu'il ne s'agit pas là d'un hasard. Les étapes qu'il a distinguées, et que Bernard Grobéty a volontairement simplifiées, témoignent du lien étroit existant entre ces différentes réalités, entre l'animé et l'inanimé notamment.
Or, ce lien, passionnant en soi, a aussi un intérêt certain pour la recherche. A partir du moment où il a été établi qu'une espèce minérale témoigne, par exemple, de la présence actuelle ou passée de la vie, sa découverte sur une planète lointaine serait lourde de sens. Peut-être le premier signe d'existence extraterrestre nous sera-t-il donné un jour par une pierre morte...
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Les minéraux aussi évoluent. Certes, contrairement aux êtres vivants, ils ne connaissent ni mutations génétiques ni transmissions héréditaires de leurs caractères. Mais ils changent avec le temps. Mieux: au fur et à mesure que se transforme leur milieu, ils se multiplient et se diversifient pour devenir toujours plus complexes. Telle est la passionnante leçon d'un article récemment paru dans American Mineralogist (la principale revue de référence dans le domaine) sous la plume de huit chercheurs américains et canadiens menés par Robert Hazen de l'Institut Carnegie à Washington.
«C'est là un extraordinaire travail de compilation et de mise en perspective, s'enthousiasme Bernard Grobéty, professeur de minéralogie et de pétrographie à l'Université de Fribourg. S'il ne relate aucune découverte à proprement parler, il interprète de manière brillante les connaissances acquises à ce jour pour retracer des milliards d'années d'histoire de la matière. Nul doute que de nombreux enseignants de par le monde vont s'en inspirer pour revoir leurs cours.»
La minéralogie s'est longtemps limitée à décrire des propriétés chimiques et physiques. Robert Hazen et ses pairs l'invitent à se réinventer en s'inscrivant dans le temps.
• La naissance de la matière
Pour comprendre cette très longue histoire, il est nécessaire de remonter au passé le plus lointain, soit à l'époque qui a immédiatement succédé au fameux Big Bang, le début de l'univers. L'espace n'abrite alors que les deux substances les plus simples du tableau périodique des éléments, l'hydrogène et l'hélium, rappelle Bernard Grobéty. Mais comme ces deux gaz n'y sont pas distribués de façon homogène, ils se déplacent sous l'effet de la gravitation et s'agrègent ici et là pour former d'énormes étoiles, les géantes rouges. Ils rencontrent alors des températures et des pressions si élevées que leurs atomes se déstructurent et fusionnent pour en créer d'autres et donner naissance, du lithium au fer, à 24 autres éléments.
Aussi imposantes soient-elles, ces étoiles ne sont pas éternelles pourtant. Elles meurent dans des explosions titanesques, baptisées supernovæ, qui provoquent des dégagements de chaleur et de pression encore nettement supérieurs à celles des géantes rouges. En résultent des dizaines de nouvelles combinaisons d'atomes et donc de nouveaux éléments. L'univers possède désormais abondance de matière première. Il est prêt à produire ses premiers minéraux.
• Les protominéraux
Un minéral, rappelons-le, est un agrégat de matière à la composition chimique et à la structure cristalline particulières - autrement dit certains atomes réunis dans certaines proportions selon un certain agencement. Au cœur des nébuleuses primitives en voie de refroidissement, les atomes continuent à subir les effets de la gravitation. Mais, beaucoup plus variés qu'auparavant, ils vont former, en s'agrégeant, de nouvelles entités. L'hydrogène et l'hélium avaient produit des formations gazeuses. Leurs descendants vont donner naissance à des corps solides, les tout premiers minéraux, une douzaine en tout, appelés protominéraux.
Il s'agit encore de particules minuscules, souvent microscopiques. Mais elles sont au règne minéral ce que les premières cellules sont au vivant. Produit d'un processus de cristallisation, soit de transformation directe d'un gaz en solide, elles s'appellent moissanite, forsterite, etc. et apparaissent il y a plus de cinq milliards d'années. Peut-être beaucoup plus. En tout cas bien avant la naissance de notre système solaire.
• Poussières d'espace
Les particules primaires se mettent à leur tour à s'agréger. Et, sous l'effet de deux forces éternelles, la gravitation et les changements de température, elles donnent naissance à des corps toujours plus grands, de millimétriques à kilométriques, puis à des astres comme le Soleil et la Terre. L'espace se diversifie. De nouveaux atomes s'assemblent. Les premiers corps solides s'altèrent au contact de gaz. Une seconde génération de minéraux apparaît en même temps que notre système solaire. Il s'en compte bientôt 250, dont la troilite et l'olivine.
Les espèces minérales mettent beaucoup plus de temps à se former que les espèces vivantes. Une fois apparues en revanche, elles présentent une résistance nettement supérieure. Ces 250 minéraux primitifs nous sont ainsi parvenus. S'ils sont devenus minoritaires et souvent difficiles à trouver sur Terre, ils règnent dans l'espace interplanétaire, où les mêmes conditions chimiques et physiques se perpétuent invariablement. Les météorites en sont des concentrés émouvants. Elles ne constituent pas seulement pour l'homme une plongée dans l'espace lointain. Composées exclusivement des minéraux les plus primitifs, elles représentent aussi un extraordinaire voyage dans le temps.
• Premiers intraterrestres
Le système solaire prend lentement forme. En son centre, une énorme boule d'hydrogène et d'hélium. Tout autour, des planètes aux compositions chimiques, qui varient suivant leur masse. La Terre, trop petite pour retenir en quantités importantes les gaz les plus volatils, a déjà certains traits propres. Mais il lui reste à se construire l'identité qu'on lui connaît aujourd'hui.
A son origine, il y a 4,5 milliards d'années, elle est bouillante et liquide. Et comme toute soupe, elle va être brassée. La pesanteur enfonce bientôt ses ingrédients les plus lourds, le fer et le nickel notamment, vers son centre, et remonte vers sa surface ses éléments les plus légers, dont le silicium, le magnésium et l'oxygène. Séparations ici, rapprochements là: des mélanges inédits se produisent. Puis le magma de surface se durcit, des gaz s'échappent du sol, le H2O se liquéfie. La Terre se dote d'une croûte, d'une atmosphère et d'un océan. La voici désormais unique dans le système solaire. La voici planète bleue. Et dans son laboratoire se sont fabriqués de nouveaux minéraux. Cette fois, même les autres planètes ne suivent plus. Mercure et la Lune, trop figés, sont largués. Vénus et Mars, malgré leur activité volcanique, restent à distance respectueuse. «Avec les quartz, avec le sel, une troisième génération est apparue», explique Bernard Grobéty. Le processus dominant est cette fois la solidification, soit le passage du liquide au solide. C'est la première génération «intraterrestre». Le nombre de minéraux s'élève alors à 800.
• Du solide au solide
La surface de la Terre s'est durcie. Celle des continents, dite granitique, se compose pour l'essentiel de nouveaux minéraux, tandis que le fond des océans, dit basaltique, est formé d'un mélange d'anciens et de nouveaux. Mais les couches intérieures de la planète n'ont pas suivi la même évolution. La croûte repose sur un manteau visqueux et instable, qui la déplace et la soumet à toutes sortes de pressions. Un phénomène apparu il y a quelque 3,5 milliards d'années et connu sous le nom de tectonique des plaques.
Or, cette réalité, spécifique à la Terre, va marquer profondément le monde minéral. Quand la pression souterraine devient trop forte, la croûte se brise et, bousculée par le magma qui se précipite dans la faille, bascule en partie dans le manteau. Beaucoup des minéraux ainsi emportés se transforment au contact de températures et de pressions inhabituellement élevées. Et donnent naissance à de nouvelles espèces dites «métamorphiques» (comme le grenat), issues d'un processus de recristallisation, soit d'un passage du solide au solide. Le nombre de minéraux a doublé pour s'élever à quelque 1500.
• Marqués par la vie
Une nouvelle révolution attend la Terre cependant. Certainement la plus remarquable de toutes. L'apparition de la vie. L'événement, qui survient il y a trois milliards d'années, n'a d'abord que peu d'influence sur les minéraux. Mais lorsque la biomasse explose cinq cents millions d'années plus tard, elle remplit rapidement l'atmosphère d'un nouvel et très important agent d'altération: l'oxygène, au fort pouvoir oxydant sur des métaux tels le fer, le cuivre ou le nickel.
«C'est ainsi que la vie, favorisée par l'apparition de certains minéraux comme l'argile, a fini par favoriser elle-même l'apparition de minéraux», commente Bernard Grobéty. Et ce dans de très fortes proportions puisque, sous son influence, le nombre d'espèces a pratiquement triplé pour passer de 1500 à près de 4500 aujourd'hui (quelque 4300 répertoriées officiellement, et 50 découvertes par an).
• Tout est lié
A la lueur de cette histoire, la Terre fait une fois de plus figure d'exception. Non contente de disposer d'un champ magnétique puissant, non contente de posséder une atmosphère substantielle, non contente de renfermer de l'eau, non contente d'abriter la vie, elle se révèle aussi incomparablement riche en minéraux. L'un des grands mérites de Robert Hazen est de montrer qu'il ne s'agit pas là d'un hasard. Les étapes qu'il a distinguées, et que Bernard Grobéty a volontairement simplifiées, témoignent du lien étroit existant entre ces différentes réalités, entre l'animé et l'inanimé notamment.
Or, ce lien, passionnant en soi, a aussi un intérêt certain pour la recherche. A partir du moment où il a été établi qu'une espèce minérale témoigne, par exemple, de la présence actuelle ou passée de la vie, sa découverte sur une planète lointaine serait lourde de sens. Peut-être le premier signe d'existence extraterrestre nous sera-t-il donné un jour par une pierre morte...
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