La planète se réchauffe. Pour la sauver, des mesures comme le protocole de Kyoto seront aussi efficaces qu’un glaçon dans un océan. Dans 20, 50 ou 100 ans, on n’aura plus le choix: il faudra sortir l’artillerie lourde et, grâce à la «macro-ingénierie», corriger le climat. Voilà, en substance, la thèse que défendent quelques ingénieurs à l’imagination surchauffée, qui proposent des technologies révolutionnaires — voire délirantes — pour contrer l’effet de serre.
Ces apprentis sorciers font frémir la plupart des scientifiques, qui jugent leurs solutions au mieux simplistes et inefficaces, au pis très dangereuses et de toute façon trop coûteuses. Ceux qui les défendent passent pour des utopistes givrés ou des conspirateurs à la solde des géants du pétrole, qui tentent de semer l’idée qu’économiser l’énergie ou réduire les émissions de gaz à effet de serre(GES)ne sert à rien.
Quelles que soient leurs motivations, leurs idées politiquement incorrectes ne sont pas toutes dénuées d’intérêt. En janvier 2004, trois établissements très sérieux, l’Université de Cambridge, le Centre Tyndall de recherche sur le changement climatique, de Grande-Bretagne, et le Massachusetts Institute of Technology, près de Boston, organisaient une conférence pour «définir des approches de macro-ingénierie, en débattre et les évaluer […], sans a priori et en dehors de toute considération politique». Car une fois passées au crible de la rationalité, ces idées folles pourraient déboucher sur des solutions passablement plus modestes, mais valables. Face à l’inconnu, dit-on à Cambridge, il serait sage de ne pas écarter d’emblée des technologies qui pourraient s’avérer utiles dans quelques décennies. Une sorte d’assurance vie contre le chaos climatique…
Regeler l’Arctique
Les GES entraîneront une hausse des températures moyennes à l’échelle de la planète, mais en Europe on s’attend plutôt à une baisse due à des changements dans les courants atlantiques. Le continent jouit des effets du Gulf Stream, qui transporte l’eau chaude des Antilles jusqu’en mer de Norvège. Là, les eaux, plus salées que la normale en raison de l’évaporation causée par la chaleur, deviennent assez froides pour couler vers le fond. Elles forment alors le courant d’eaux profondes de l’Atlantique Nord(NADW, en anglais), qui s’écoule vers l’Équateur et, en se réchauffant, remonte à la surface. La boucle est ainsi bouclée. Avec la fonte de la banquise, on prévoit que l’Atlantique sera de moins en moins salé. Le moteur de cette circulation océanique pourrait par conséquent s’enrayer. On est loin du scénario catastrophe du film Le jour d’après — qui imaginait une chute vertigineuse des températures en quelques jours —, mais des chercheurs britanniques viennent de montrer que le Gulf Stream semble déjà avoir faibli. Si la tendance se maintient, le climat de l’Europe pourrait devenir aussi froid que celui du Canada.
Peter Flynn, professeur au Département de génie mécanique de l’Université de l’Alberta, à Edmonton, a évalué sept solutions d’urgence pour réactiver la circulation océanique. La meilleure consisterait, selon lui, à épaissir la couche de glace qui se forme l’hiver dans l’Arctique. À l’automne, 8 000 barges automatiques, mues par des moteurs fonctionnant à l’énergie éolienne, convergeraient vers le Grand Nord. Chacune pomperait de l’eau salée, la ferait refroidir dans des serpentins, version macro-ingénierie du bac à glaçons, avant de la pulvériser au-dessus de la banquise, comme les canons à neige des centres de ski. On pourrait ainsi augmenter l’épaisseur de la glace jusqu’à sept mètres. Au printemps, cette eau froide et salée coulerait directement au fond de l’océan pour alimenter le NADW, réactiver le Gulf Stream… et sauver les palmiers anglais.
Coût estimé de l’opération: 50 milliards de dollars.
Pétrifier le gaz carbonique
Jusqu’au 19e siècle, la concentration de CO2 dans l’atmosphère atteignait 280 parties par million(ppm); elle dépasse maintenant 380 ppm. Moins d’une livre dans une tonne d’air, c’est tout de même très peu, 200 000 fois moins que dans l’atmosphère de Vénus, par exemple. L’explication tient en partie à la géologie. Sur la Terre, le carbone est piégé par la végétation, mais surtout par les roches qui constituent la croûte terrestre. Au cours des ères géologiques, le CO2, dissous dans l’eau des précipitations, a réagi chimiquement avec des silicates, qui représentent 95% de l’écorce terrestre, pour former des sédiments calcaires.
Alors, pourquoi ne pas éponger le surplus de CO2 avec des pierres? Olaf Schuiling, géologue à l’Institut des sciences de la Terre de l’Université d’Utrecht, aux Pays-Bas, veut épandre sur le sol une mince couche de poudre d’olivine, roche qui fixe le CO2 beaucoup plus rapidement que les autres silicates. Dans les régions qui souffrent encore des pluies acides, comme l’Europe de l’Est, le processus aurait l’avantage de neutraliser les sols, remplaçant ainsi avantageusement la chaux. Klaus Lackner, géophysicien à l’Université Columbia, à New York, songe plutôt à «planter» un peu partout des «arbres» de pierre, faits de silicate de magnésium. Georges Beaudouin, professeur de géologie à l’Université Laval, propose quant à lui d’utiliser les résidus de l’exploitation de l’amiante, constitués de roches semblables à l’olivine, pour piéger le CO2.
Doper les nuages
En bloquant les rayons du soleil, les nuages tendent à refroidir la planète. Il y a quelques années, le père de la bombe H, Ed Teller, ne proposait rien de moins que d’obscurcir les nuages avec de la poussière d’aluminium et de soufre pour rafraîchir l’atmosphère — ce physicien américain avait des idées tellement barjos qu’il inspira, dit-on, le personnage du Dr Folamour, du film de Stanley Kubrick. Depuis, d’autres professeurs Nimbus cherchent une manière moins «sale» d’exploiter l’effet Twomey, par lequel de fines particules présentes dans l’air peuvent accroître l’albédo des nuages, c’est-à-dire leur capacité de réfléchir la lumière du soleil.
En 1990, John Latham, du Centre national de recherche atmosphérique, à Boulder, au Colorado, suggère de doper les stratocumulus, qui recouvrent le tiers des océans, en vaporisant de fines gouttelettes d’eau salée à 20 m au-dessus de la surface de l’océan pour favoriser l’évaporation. Le sel présent dans l’eau permettrait d’augmenter l’albédo des nuages, sans obscurcir le ciel au-dessus des terres ni engendrer de pollution. Stephen Salter, professeur émérite de conception technique à l’Université d’Édimbourg, en Écosse, a esquissé les plans d’un engin capable d’accomplir cette prouesse: une sorte de catamaran programmé pour faire des allers-retours perpendiculairement aux vents dominants et sur lequel seraient installées des turbines géantes capables de pulvériser l’eau en utilisant la force éolienne. Une flotte de quelques centaines de ces bateaux pourrait garder la Terre au frais, même si le taux de CO2 dans l’air devait doubler, croit l’ingénieur. Stephen Salter n’en est pas à son premier coup d’éclat. Dans les années 1970, il a été l’auteur d’une autre invention assez délirante — une sorte de batteur à œufs flottant, baptisé «canard de Salter» — pour exploiter l’énergie de la houle, idée qui fait très lentement son chemin…
Coût: 115 millions de dollars pour finaliser les recherches et construire un prototype du catamaran.
Peindre la terre en blanc
Quand le soleil plombe, on se sent beaucoup mieux sur une plage de sable blanc que sur le bitume, car l’albédo des surfaces claires est plus élevé que celui des surfaces sombres.
Robert Hamwey, du Centre d’études économiques et écologiques de Genève, croit qu’il est possible de compenser une partie du réchauffement climatique en modifiant l’albédo de la planète. Pour cela, il faudrait blanchir les bâtiments et les routes, par exemple en les recouvrant de dioxyde de titane(minéral dont on se sert dans la fabrication de peinture blanche et de crèmes solaires)ou en utilisant du ciment blanc. On pourrait aussi augmenter l’albédo des terres cultivées ou des prairies avec des plantes au feuillage clair, telles que des phalangères(plantes araignées)ou des laîches. D’après les calculs de Robert Hamwey, on pourrait ainsi compenser le tiers de la hausse moyenne des températures, ce qui nous donnerait 25 ans de répit pour rendre plus efficaces les stratégies actuelles de lutte contre les changements climatiques ou pour en inventer de nouvelles. Une idée… éblouissante?
Filtrer l’air
Rien de tel que les filtres d’une hotte pour absorber les vapeurs de cuisson. On appuie sur le bouton, et pfft, fini les odeurs de graillon.
L’ingénieur David Keith, du Département de génie chimique et pétrolier de l’Université de Calgary, propose de se débarrasser du CO2 contenu dans l’air de la même façon! Il a inventé un «laveur de CO2»: l’air est aspiré par un ventilateur et mis en contact avec de la vapeur de soude caustique constamment recyclée. Le CO2 est neutralisé par la soude et transformé en bicarbonate de sodium(connu familièrement sous le nom de «petite vache»). David Keith a déjà construit un prototype de cinq mètres de haut dans son laboratoire. Des centaines de laveurs de 120 m pourraient assainir la planète. Klaus Lackner, géophysicien à l’Université Columbia, défend un concept similaire: selon cet ancien chercheur du Laboratoire national de Los Alamos(où fut inventée la bombe atomique), des centaines de kilomètres carrés de collecteurs remplis de chaux ou de soude permettraient de pomper le CO2 excédentaire. De beaux paysages en perspective…
Fertiliser les océans
Chaque année, les algues et le phytoplancton absorbent environ 70 milliards de tonnes de CO2 par photosynthèse, plus que la végétation terrestre(60 milliards de tonnes). C’est près de 100 fois les émissions canadiennes de GES… Or, le Pacifique Sud n’abrite quasiment pas de phytoplancton, parce que, semble-t-il, l’eau n’y est pas assez riche en fer.
Dès les années 1980, le biologiste californien John Martin propose donc de fertiliser le Pacifique Sud avec du fer pour stimuler le plancton et combattre l’effet de serre. À la fin des années 1990, plusieurs tests montrent que larguer de la poudre de fer permet effectivement de faire proliférer algues et plancton. En 2001, l’idée semble tellement prometteuse, en dépit des risques énormes de catastrophe écologique, qu’un ingénieur américain, Michael Markels, crée la société GreenSea Venture pour épandre des tonnes de fer, puis vendre des crédits de CO2 aux entreprises qui en auraient besoin. Selon lui, en un mois, on pourrait fertiliser une surface de 13 000 km2 et piéger de 100 000 à 200 000 tonnes de CO2. Mais les résultats de campagnes océanographiques menées en 2002 par des chercheurs américains, puis en 2004 par des Européens, ont abouti à des résultats nettement moins spectaculaires: aux dernières nouvelles, le plancton dopé ne pomperait pas assez de CO2 pour justifier le déploiement d’un tel arsenal. En mourant, il entraînerait une partie infime du carbone vers le fond des océans et le reste remonterait dans l’atmosphère. Un coup d’épée dans l’eau!
Abriter la Terre sous un parasol
On cuit au soleil? Pas de problème, abritons-nous sous un parasol!
Collègue et ami du regretté Ed Teller, le Dr Lowell Wood ferait un bon modèle pour un remake du Dr Folamour. Ce physicien américain du Laboratoire national Lawrence Livermore propose d’installer un filtre géant entre le Soleil et la Terre, au point où les forces de gravitation des deux astres s’annulent, soit à 1,5 million de kilomètres du plancher des vaches. Dévier 1% du rayonnement solaire stabiliserait le climat, croit Lowell Wood. Pour cela, il faudrait tout de même un filtre de plusieurs milliers de kilomètres carrés de surface.
Coût: astronomique…
Source:lactualite.com
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