Excédés par la multiplication des cambriolages depuis l’installation d’un camp de Roms dans les environs, des habitants du quartier pavillonnaire du Triolo à Villeneuve-d’Ascq (Nord) ont placardé sous forme d’avis de recherche des photos de leurs agresseurs, repérés par une caméra de surveillance puis pris en photo par un téléphone portable.
Une campagne d’affichage qui n’est pas sans rappeler celle initiée il y a un mois par des riverains d’un quartier du centre de Bordeaux, exaspérés quant à eux par les trafics de drogue et enjoignant chacun à prendre des clichés des dealers et de leurs clients afin de les publier sur les réseaux sociaux.
Et la réponse des pouvoirs publics est invariablement la même : « Je peux comprendre l’exaspération mais je ne soutiens pas la démarche », a réagi, à Bordeaux, l’adjoint municipal à la sécurité, Jean-Louis David, qui appelle à « faire confiance aux services associatifs et de police qui ne restent pas à ne rien faire sur ce sujet ». « Je les comprends, ils sont arrivés à un tel niveau d’exaspération… mais il y a des lois. C’est aux autorités de tout faire pour rechercher ces gens-là », a déclaré Maryvonne Girard, adjointe du maire de Villeneuve-d’Ascq.
C’est bien aimable, ça, Jean-Louis et Maryvonne, de « comprendre » vos administrés. En plus, ça ne mange pas de pain. Mais ça leur fait une belle jambe. Car quand bien même vous les comprendriez réellement — et il faudrait encore pour cela que vous ayez vous-mêmes subi le traumatisme de trouver un matin votre maison fracturée, dévalisée et sens dessus dessous —, vos airs peinés ne vont pas leur rendre leur chaîne Hi-Fi, leur ordinateur, et l’alliance de feue leur vieille mère.
Jean-Louis David va notamment devoir trouver autre chose que « les services associatifs et de police qui ne restent pas à ne rien faire sur ce sujet » — double négation filandreuse laissant quand même entendre qu’ils n’arrivent pas à grand-chose — s’il ne veut pas avoir, après les prochaines élections, à se reconvertir dans la coiffure comme son célèbre homonyme… et enfin se poser la seule vraie question : si ces ménages de classe moyenne passent leur week-end à faire des photocopies et à quadriller le patelin pour agrafer leurs affiches artisanales, est-ce vraiment parce qu’ils trouvent cela plus folichon que de tondre la pelouse et faire des courses chez Ikea, ou parce qu’ils n’ont pas d’autre choix ?
Le plus frappant est le profil de ceux que l’on accuse de vouloir faire justice eux-mêmes. Bien loin de celui que la presse nous « vend » habituellement : ni le Papy Mougeot parano à la détente facile, ni le Terminator du dimanche bas de plafond, adepte des clubs de tir, aigri par le chômage et se vengeant sur tout ce qui bouge.
À l’origine des affiches de Villeneuve-d’Ascq, un cadre marketing de 41 ans. Sur celles de Bordeaux, cette mention explicite, comme pour s’excuser : « Habitants du quartier fâchés mais pas fachos ». Des gens rangés et sans histoire acculés à l’autodéfense. Une autodéfense polie, pacifique, mesurée : à Bordeaux, les photos sont floutées, et dans le Nord, les affiches ont été scrupuleusement retirées par les riverains eux-mêmes au bout de trois jours. Une autodéfense néanmoins condamnée. Parce qu’elle serait de la délation et contreviendrait à la présomption d’innocence (cette caravane de l’un des riverains retrouvée dans le campement rom ? Telle la chèvre de monsieur Seguin, sans doute la caravane s’ennuyait-elle sec toute seule dans le jardin propret entre deux pots de géraniums et a-t-elle fugué pour rejoindre ses copines…). Parce que son côté « WANTED » Frères Dalton ferait tache dans la France du XXIe siècle.
Il y a ces temps-ci comme des effluves de far-west sur notre pays. Un train attaqué comme une diligence. Des avis de recherche placardés sur les troncs d’arbre. Des shérifs point trop véloces ou dépassés. Bientôt l’obligation de recourir à des sociétés de sécurité privées, chasseurs de prime des temps modernes ?
Gabrielle Cluzel, le 13 mai 2013
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