Rejoignez la communauté SCIencextrA
Alors que nous fêtions le 11 novembre 1918 en France et l’armistice qui mettait fin à la Grande Guerre, nous nous approchons à grand pas du centenaire de cette terrible guerre. Elle a marqué terriblement la France notamment à cause de sa durée et des terribles pertes que ce pays eut à supporter.
La nature des combats, le nombre de tués, de blessés, les gueules cassées, tout cela a contribué à un véritable traumatisme. Ils furent également plus de 350 000 soldats à disparaître, les portés disparus, les oubliés, même si l’un d’eux, inconnu, repose sous l’arche de Triomphe à Paris.
Dans ce qui a été perçu comme une hécatombe, une boucherie effroyable, plus terrible encore que les grandes batailles de sa petite sœur, la guerre mondiale de 39-45, la Grande Guerre reste à une place spéciale dans la mémoire et la société française. Chaque ville, chaque village, à de très rares exceptions près, possèdent un de ces monuments aux morts où tout un chacun à le loisir de voir l’étendue des souffrances que ce conflit répandit sur la France. Meurtrie dans sa chair, elle le fut aussi dans son sol, puisque tout le conflit à l’Ouest se déroula, ou presque, sur son territoire entraînant des destructions colossales.
1 357 800 morts, 4 266 000 blessés, dont plus d’1,5 million d’invalides et de gueules cassées affichèrent longtemps le spectacle des terribles blessures reçues durant les 4 années de cette guerre inhumaine. C’est ainsi qu’elle fut ressentie, la première guerre industrielle, même si la guerre de Sécession (1861-1865), pourrait revendiquer ce titre. Limitée au territoire américain, elle ne devait pas laisser en Europe sa marque, tandis que la guerre franco-prussienne de 1870-71, trop courte et trop spécifique n’avait pas encore totalement, ce caractère industriel, massif, total. Ces deux guerres avaient seulement donné un avant-goût…
La puissance de feu déployée dans ce conflit, fut hors de commun avec tout ce qui avait été connu jusque-là, et la débauche de moyens meurtriers, incroyable. L’artillerie supplanta la reine des batailles, l’infanterie, et ce n’est qu’au prix d’un courage insensé que les rudes paysans français, formés à l’école de la République, sacrifièrent leur vie, souvent inutilement. Largement inférieure en nombre, la France malgré ses alliés britanniques ou belges, l’était aussi en termes d’artillerie, d’artillerie lourde et d’armes automatiques. Les premiers mois de la guerre furent donc particulièrement cruels, les képis rouges se trouvant lancés dans des charges d’un autre temps, contre les mitrailleuses allemandes. Le premier mois de guerre coûta aux Français pas moins de 120 000 jeunes hommes, 8,83 % des pertes de toute la guerre…
C’est justement dans ces premières semaines que l’armée française en mouvement sur tout le front, à l’assaut, puis en défense, avant de repartir en avant et de se trouver bloquée par les tranchées, subie les plus grandes pertes également en disparus. Les cadavres sont laissés sur place, à l’abandon, les belligérants ne s’occupant même pas de les inhumer ou décompter. Tout va trop vite. Par la suite, l’horreur des combats de tranchée apporte son lot de disparitions. Certes dans les guerres du passé, des hommes avaient également disparus, mais jamais dans les proportions de la Première Guerre mondiale. Ils sont en effet ensevelis sous des tonnes de terre, d’autres littéralement dispersés, éparpillés par les obus d’artillerie. Il n’en restait parfois qu’une infâme bouillie que Barbusse décrit si bien dans Le Feu, débris humains mélangés à la terre et à la boue, se mêlant et sans cesse labourée par les bombardements d’artillerie. Certains hommes ne laissent aucune trace de leur décès et ils sont portés disparus.
Ils seront des milliers, des centaines de milliers, et les familles dans le désordre de la fin de la guerre espèrent souvent en vain, que l’être aimé a été fait prisonnier et qu’il reviendra. La Croix Rouge est sollicitée, elle fera son possible. Des histoires célèbres et sordides firent les unes des journaux, notamment à propos de cas de poilus devenus fous et amnésiques, dont personne ne pouvait confirmer l’identité. Des familles se battirent pour s’arracher l’un de ces survivants sans identité, et sans avenir. Ailleurs, des familles sans espoir attendaient seulement un jugement, le jugement libérateur, qui a défaut d’un corps à enterrer, d’une tombe à fleurir, mettrait fin du moins à une insoutenable absence, à une attente mortifiante.
Alfred Foray, un arrière grand-oncle est de ceux-là. Il était parti en août 1914, dans les rangs du 223ème d’infanterie, un régiment de seconde ligne. Il s’était évertué, dans toutes les conditions, à écrire à sa femme Elisa, et son fils Roger ainsi qu’à sa nombreuse famille. Chaque jour, il écrivait et envoyait des courriers accompagnés la plupart du temps par une ou des cartes postales. Sa correspondance, et celle de ma famille, forme un ensemble rare de plusieurs centaines de courrier couvrant la guerre mais aussi une période beaucoup plus grande. En partie exploitée par des historiens, elle attend pour témoigner de l’histoire douloureuse d’une double mort.
C’est un jour d’octobre 1916, à la contre-attaque du célèbre fort de Douaumont, à Verdun, que l’oncle Alfred disparaît, atomisé par un obus. Ce qui restait de lui est rapidement inhumé dans une fosse commune provisoire, mais ce fait reste longtemps inconnu. En 1917, son frère Auguste, lui aussi mobilisé, profite d’une permission et d’une moto pour chercher. Très vite, il ne semble pas faire de doute qu’il soit mort, ils sont tellement à mourir ! Il interroge, les camarades survivants, mais tout est vague, dans la fureur de l’attaque, les hommes ne voient plus rien, le combat est assourdissant, décérébrant. Il trouve toutefois un soldat qui fit fonction de fossoyeur après l’attaque. Ce dernier lui indique une fosse, et à force de recherches, il trouve l’endroit, dresse des plans, des hypothèses. Pour l’armée, pour la France, Alfred est porté disparu, il faut des preuves, un corps, une plaque, des papiers.
Dès lors un long marathon administratif commence pour sa femme Lisa, pour arracher le titre de veuve de guerre, pour recevoir une pension, pour régler la succession d’Alfred. Il était un simple charron dans un village de l’Ain, à Saint-Jean-sur-Reyssouze. Le tribunal de Bourg-en-Bresse finira par déclarer sa mort officielle, un jour de 1921. Il aura fallu attendre tout ce temps pour qu’il repose en paix. Une croix fut dressée, avec des milliers d’autres à l’ossuaire de Douaumont, sa femme fit le voyage à plusieurs reprises jusqu’à sa mort survenue en 1963, ayant eu la douleur de perdre son unique fils Roger qui était handicapé.
Parmi tous ces oubliés, beaucoup n’ont à ce jour pas été retrouvés, un service spécial de l’armée continue les recherches, des corps des deux guerres étant découverts chaque année au gré du hasard. Ils resteront des milliers dont nous ne saurons rien de leur fin, broyés, pulvérisés par la folie des hommes.
Aucun commentaire:
Write comments