mercredi 28 décembre 2011

Retirer ses implants mammaires?

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On a l’habitude de dire que la santé publique est constituée d’un dixième de médecine et de neuf dixièmes d’autres choses. La décision officielle concernant l’explantation des prothèses mammaires PIP en est la parfaite illustration.
 
Alea jacta est. Les porteuses de prothèses PIP pourront donc faire enlever ces prothèses et l’Assurance maladie couvrira les frais inhérents à ces interventions.
C’est la décision prise ce 23 décembre 2011 par le ministre de la santé, Xavier Bertrand.
Le ministre avait souhaité que, sous l’égide de l’Institut national du cancer, l’INCa, se réunisse une commission d’experts afin d’évaluer les divers risques de ces prothèses défectueuses dans un nombre de cas anormalement élevé.
Le moins qu’on puisse dire c’est que le groupe d’experts n’a pas travaillé dans une totale sérénité ! A peine convoqué, il découvrait dans Libération un article évoquant la prise de décision de retrait pour cette fin de semaine, citant, en particulier, la directrice générale de l’INCa qui se mit aux ‘abonnées absentes’ par la suite.
Puis on apprit que ce rappel unique dans l’histoire, avec 30 000 femmes potentiellement concernées, avait été budgété !
Il aura fallu beaucoup de persuasion à l’INCa pour garder ses experts auxquels on demandait d’évaluer en deux jours un certain nombre de risques alors qu’il aurait fallu raisonnablement leur donner bien plus de temps.
Les experts ont donc rendu leurs conclusions et, dans leur avis, ils rappellent des points importants. Ils n’ont pas constaté un risque majoré de cancer du sein de type adénocarcinome chez les femmes porteuses de prothèses PIP. C’est la forme histologique la plus fréquente des cancers du sein. Il parait utile, d’ailleurs, de rappeler que la chirurgie destinée à augmenter le volume des seins respecte le tissu glandulaire. Le risque d’adénocarcinome du sein chez une porteuse de prothèse est donc identique à celui d’une autre femme.
Ils n’ont pas non plus retrouvé de risque excédentaire de lymphome anaplasique à grandes cellules, un cancer du système immunitaire associé dans de rares cas à la présence de prothèses mammaires, dont nous avons parlé  ICI.

Les experts ont souligné le risque de fuites et de rupture plus fréquent avec ces prothèses et ont donc proposé une surveillance échographique bisannuelle chez les femmes porteuses de PIP, avec de »s modalités spécifiques d’examen, notamment sur les aires ganglionnaires.
Quelle décision a pris le ministère de la santé ?   Proposer aux femmes de retirer leurs prothèses même non rompues. Il n’a donc pas suivi la recommandation des experts. Mais on s’y attendait.
Petite précision importante à ce stade, le rappel du rôle de chacun.
Les experts ont pour but d’apporter leurs connaissances afin de réduire le degré d’incertitude dans lequel se situe le monde du vivant. Car le 100 % n’existe pas dans ce monde, pas plus que le 0 % ! Il existe en permanence des variations, entre individus mais aussi chez un même individu, qui empêchent d’avoir des certitudes définitives et absolues.
La chose importante c’est que les experts restent dans leur rôle et ne deviennent pas des décideurs. Ils doivent limiter leur action à l’aide à la décision.
Et la décision, dans le cas des prothèses, c’est le ministère de la santé qui l’a prise. C’est donc, au sens littéral une décision politique.
Nouvelle incise : il faut saluer l’honnêteté et la transparence des services de Xavier Bertrand qui ont envoyé aux rédactions l’avis des experts et la position officielle dans un même message.
Revenons sur le contexte : depuis des jours on entend parler de femmes porteuses de prothèses et atteintes de cancer. Comme si le lien de causalité était établi. Alors que la FDA a établi en janvier 2011 une excellente revue de la littérature concernant prothèses et lymphomes, quasiment aucun media ne s’est donné la peine de rechercher un tant soit peu ce qui avait été déjà étudié.
Là-dessus, des chirurgiens en ajoutent une couche. Tout va exploser, la silicone va se répandre, opérons ! Opérons : En six mois c’est réglé etc.
Enfin arrive le truc qui tue, LE ‘scandale sanitaire’ UNE nouvelle affaire du ‘sang contaminé’, avec les avocats qui sont dans les starting-blocks.
 Et dans un pays qui a l’obsession du risque ‘zéro’ et des politiques qui craignent la mise en examen par les juges du pôle ‘santé’ la décision ne peut pas être très surprenante.
D’autant que nous sommes à quelques mois d’une échéance électorale, ce qui ne simplifie pas les choses !
La France est, pour l’instant, le seul pays ayant décidé de prendre en charge les coûts liés à l’intervention d’explantation des prothèses défectueuses.
En Grande-Bretagne, par exemple, la Directrice générale de la santé demande aux femmes de consulter leur chirurgien mais ne préconise aucun retrait. Il en est de même en Hollande ou en Espagne.
Cela correspond sans doute à une approche très différente de la notre de la notion de bénéfice-risque. Cette notion est généralement bien ancrée dans les opinions d’Europe du Nord. Ainsi, en Angleterre, le National Institute for Clinical Excellence, le NICE décide de donner ou non une autorisation de mise sur le marché d’un médicament en fonction de ces études bénéfice-risque.
Car, enlever une prothèse en pensant ainsi ne plus courir aucun risque c’est oublier quelques éléments essentiels ! Il y a le risque anesthésique, aussi minime soit-il. Il y a aussi un risque de mauvaise cicatrisation, un risque de ne pas avoir une satisfaction au plan esthétique. Sans oublier le désagrément que peut constituer une demande de dépassement d’honoraires de la part du chirurgien et de l’anesthésiste !
Et ce point n’est pas anecdotique d’autant que la Société française de chirurgie esthétique et reconstructive, la SOFCEP, a demandé à ses membres de modérer leurs éventuelles demandes de dépassement. Et l’Ordre national des médecins a également rappelé la nécessité de prendre des honoraires avec ‘tact et mesure’ !
On pouvait donc décider de faire autrement, de mettre en place une surveillance échographique soigneuse. Cette décision, les pouvoirs publics ont choisi de ne pas la prendre.
Ils peuvent arguer du fait qu’elle aurait été mal comprise, considérée comme une mise en danger des femmes.
Cela fait des années que la pédagogie du risque a disparu de notre culture citoyenne, je le rappelais, nous n’avons toujours pas fini de prendre comme mètre-étalon l’affaire du sang contaminé.
Tout processus de décision en santé publique est alimenté en ayant cette référence en arrière-plan et pas seulement pour les prothèses PIP.
La question est de savoir qui osera faire sauter ce verrou, car ce jour là, il aura quasiment tous les médias contre lui !
J’en veux pour preuve une anecdote très personnelle. En 1995, je participais à l’émission ‘Geopolis’ que dirigeait Claude Serillon. Nous évoquions la difficulté de maintenir l’activité de petites maternités en raison des risques encourus lorsqu’on ne fait pas suffisamment souvent certains gestes techniques.
Dans ce magazine j’expliquai que certains choix s’imposaient donc, tout en sachant que le risque zéro n’existait pas et qu’il fallait en informer les femmes. Cela me valut dans les colonnes du ‘Nouvel Observateur’ de la part d’un journaliste soi-disant ‘scientifique’ un article disant qu’en disant que le risque zéro n’était pas possible  je justifiais (sic) la transmission du virus VIH aux hémophiles !
Que retirera t-on au total de cette affaire PIP ? Tout d’abord la question des dispositifs médicaux et de la réglementation qui les concerne. Ces produits, prothèses, sondes de stimulateurs cardiaques etc., sont implantés dans le corps humain. Mais, pour autant, ils sont moins bien surveillés que les médicaments et ce du début à la fin de leur conception et utilisation.
Dans l’industrie pharmaceutique, il y a un pharmacien responsable, garant du respect des bonnes pratiques de fabrication. Rien de tel pour les dispositifs médicaux.
La traçabilité est un autre point noir, comme la matériovigilance.
Prenons l’exemple de PIP. En 2000, cette société a été inspectée par la FDA, l’administration américaine, car ses prothèses étaient considérées comme défectueuses. Il ne s’agissait pas d’un problème de silicone puisqu’à l’époque on utilisait des solutions salines.
Un moment numéro trois mondiale dans le domaine des implants mammaires, cette société aura pu continuer pendant dix ans à vendre un produit visiblement peu satisfaisant et c’est un euphémisme.
Ensuite, la nécessité de mettre en place des systèmes plus réactifs d’information. Pourquoi avoir laissé croire, pendant des jours, que la causalité entre cancer et prothèses était évidente. Pourquoi cette absence de pédagogie,
Pourquoi également ne pas laisser les agences sanitaires aider à diffuser une information de qualité plutôt que de vouloir toujours faire contrôler tout par l’Administration ?
Mark Twain disait qu’un mensonge avait le temps de faire le tour du monde avant que la vérité ait mis ses chaussures. En matière de crise sanitaire, on entend tout et n’importe quoi. Un désordre dont certains savent parfaitement profiter pour se faire une image, se donner une stature ou, pire, une compétence qu’ils n’ont pas.
Avec le temps, j’ose espérer qu’on ne fera pas sempiternellement le même constat après chaque événement concernant la santé publique.


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