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Lancé, il y a 20 ans sous forme de “hobby“, par un étudiant finlandais de 21 ans, Linux est aujourd’hui partout. Sans lui, les places boursières, tout comme 95% des superordinateurs, une bonne partie des principaux serveurs web, et de plus en plus de téléphone (avec Android), télévisions, box ADSL… ne pourraient tout simplement pas fonctionner.
Il est bien difficile de déterminer la date de naissance exacte du noyau Linux [en]. Est-ce qu’elle se situe en avril 1991, quand Linus Torvalds, cet étudiant finlandais, a réellement commencé à travailler sur son projet de nouveau noyau ? Est‐ce le 25 août 1991, quand il a posté son célèbre message (“just a hobby, won’t be big and professional like GNU”) sur lenewsgroup comp.os.minix
? Est‐ce que nous devons retenir le mois de septembre 1991 quand la version 0.01 a été déposée sur le serveur FTP de l’Université de technologie d’Helsinki ?
Quelle que soit l’option retenue, l’année 2011 marque le vingtième anniversaire de ce prodigieux projet et, pour participer aux célébrations, LinuxFr a réalisé une interview de Linus Torvalds, dont nous republions de larges extraits, et que vous pourrez retrouver, dans son intégralité mais également dans sa version originale, en anglais, sur LinuxFr.org.
La première réponse, très négative, c’est que je méprise complètement les gens qui tentent de pousser la GPL comme étant de type « éthique ». Je pense que c’est de la pure connerie. Pourquoi ? Parce que l’éthique, pour moi, c’est quelque chose de privé. Chaque fois que vous l’utilisez dans un argument pour dire pourquoi quelqu’un d’autre devrait faire un truc, alors vous n’êtes plus éthique. Vous devenez juste une tête de con moralisatrice.
Mais la seconde réponse, c’est que personnellement je pense que la GPL (version 2) correspond à ce que je veux faire. J’aime vraiment programmer et je veux rendre disponible mon travail pour que les autres puissent en profiter. Mais je pense vraiment que tout le « vous pouvez faire ce que vous voulez, mais vos améliorations doivent être disponibles de la même manière que le code d’origine » est très juste, et que c’est un très bon moyen de faire du développement.
Donc, personnellement, je pense que la GPLv2 correspond d’assez près à ce que je pense être « la bonne manière de vivre ma vie ». Et par « bonne manière », je ne veux pas dire que ce soit la seule manière. J’ai fait aussi du développement sous licence commerciale et j’ai beaucoup aimé ça. Je pense que c’est aussi correct et approprié (Eh, ils m’ont payé pour le faire).
Donc, je pense que la GPLv2 est une bonne licence et je l’utilise pour mes propres raisons personnelles. Je pense que c’est aussi vrai pour de nombreuses autres personnes, mais je veux vraiment préciser que ce n’est pas la licence qui est éthique en elle‐même. Beaucoup d’autres personnes pensent que la licence BSD [qui, contrairement à la GPL, permet de réutiliser tout ou une partie du logiciel sans restriction, qu'il soit intégré dans un logiciel libre ou propriétaire, NDLR], avec ses libertés encore plus étendues, est une meilleure licence pour eux. Et d’autres préféreront utiliser une licence qui conserve tous les droits au propriétaire du copyright et qui ne donnera aucun droit sur les sources aux autres personnes. Et pour eux, c’est leur réponse. Et c’est bien, c’est leur choix. Essayer de promouvoir une licence particulière comme étant « le choix éthique » me rend malade. Vraiment.
Et ce n’est pas comme si nous n’avions pas d’utilisateurs dans le grand public. Android est un exemple d’utilisation grand public de Linux. Le problème, c’est que le desktop est un marché qu’il est difficile d’atteindre. Il y a un énorme “effet réseau” qui fait que lorsque vous avez beaucoup d’utilisateurs, c’est une bonne raison pour les retenir et pour en conquérir de nouveaux. Il y a aussi le fait que beaucoup de gens ne veulent vraiment, vraiment pas changer leur environnement ; et s’ils sautent le pas, alors ils veulent de l’aide et du support. Ici, « support » n’est pas nécessairement du support commercial, c’est aussi savoir que vous avez des gens autour de vous qui connaissent le système et qui peuvent vous donner des conseils, etc.
Passer ce cap est difficile. Et ce n’est pas quelque chose qui se fait en pointant des problèmes techniques spécifiques. C’est souvent un problème social.
Donc, tout mon problème au sujet de Tivo et des autres entreprises de ce type, a toujours été “Eh, ils ont conçu et construit ce matériel, le fait qu’ils aient utilisé mon code dedans ne me donne aucun droit spécifique sur ce matériel”.
Comme ils utilisent Linux, j’attends d’eux qu’ils rendent disponibles leurs patches sur le code de Linux, comme la licence l’exige. Il y a évidemment des entreprises qui ne font même pas ça, mais c’est une exception plutôt que la règle.
Donc, vous pouvez récupérer le code de Linux avec leurs modifications, et vous pouvez concevoir et construire votre propre box ADSL ou votre télévision ou tout ce que vous voulez, et utiliser toutes les améliorations de Linux qu’ils ont pu faire. Ou bien, plus important, vous pouvez utiliser leurs améliorations de Linux même si vous ne construisez pas une box ADSL — vous pouvez utiliser leurs patches sur votre desktop ou sur une machine sans aucun rapport. C’est là où les améliorations deviennent vraiment intéressantes — quand vous les utilisez pour autre chose que ce qui était prévu à l’origine.
Maintenant, bien entendu, la plupart des entreprises qui utilisent Linux dans ce domaine n’ont pas besoin de faire tant de changements que ça dans le noyau, donc il n’y a peut être aucune amélioration. C’est bien comme ça aussi. Si Linux marche pour eux sans changements, alors tout va bien. De la même manière, il marchera pour vous sans changements si vous voulez créer un matériel identique.
Donc, j’ai toujours pensé que toute cette histoire de “tivoisation” était un truc stupide. Si vous voulez faire votre propre machine Tivo, alors faites-la. Ne pensez pas que juste parce qu’elle se base sur du code open source, vous devriez contrôler le matériel. C’est de l’open source. Si vous voulez faire de l’open hardware, alors faites de l’open hardware.
Ceci dit, je pense qu’il existe de sérieux problèmes au sein de l’industrie du contenu, quand les fournisseurs de contenu utilisent la loi ou des mesures techniques de protection (MTP / DRM) pour essayer en réalité d’entraver les gens et de se créer des situations de monopole. Je n’aime pas les MTP. Mais je pense que c’est un problème différent de celui des licences de logiciels, et je pense aussi que c’était une faute grave de la part de la FSF d’essayer d’utiliser la GPLv3 comme une manière de transformer les projets des autres en armes dans leur lutte contre les MTP.
Je suis très content d’avoir rendu clair le fait que Linux est un projet uniquement GPLv2, et cela des années avant que tout ceci n’arrive.
Donc je pense que le fork d’Android a obligé les développeurs de la branche principale à regarder sérieusement certains des problèmes que rencontrait Android. Je pense que nous avons résolu tout ça en mainline et j’espère (et je crois) qu’Android finira par réintégrer la branche principale. Mais cela prendra probablement un certain temps et nécessitera des efforts.
Interview placée sous licence Creative Commons CC-BY-SA permettant donc son partage, son remix, et son utilisation à des fins commerciales.
Photo CC Adobe of Chaos, Dunechaser.
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