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La production d'une énergie abondante et propre est l'un des Graal de la physique et de la technique moderne. Parmi les candidats identifiés, la fusion nucléaire se situe parmi les favoris. Après plusieurs décennies d'efforts, les chercheurs parviennent à surmonter un à un les obstacles qu'ils rencontrent pour parvenir à contrôler cette forme d'énergie. Deux avancées dans ce domaine ont été annoncées ces derniers jours.
Les réactions de fusion nucléaire
Les réactions de fusion nucléaire sont celles qui ont lieu au coeur des étoiles. Dans ces processus, des noyaux d'atomes légers fusionnent pour former des atomes plus lourds. La réaction produit, à masse égale de combustible, 4 à 5 fois plus d'énergie que les réactions de fission qui sont utilisées dans les centrales nucléaires actuelles. Cependant, cette énergie nucléaire est beaucoup plus difficile à maitriser.
Les réactions de fusion ont lieu à des températures de plusieurs dizaines de millions de degrés. Dans ces conditions, la matière se présente sous la forme d'un plasma. La première difficulté consiste donc à confiner cet ensemble de particules chargées très énergétiques. La seconde consiste à obtenir une densité de matière très élevée pour pousser les noyaux d'atomes -qui naturellement se repoussent par l'effet des forces électriques- à se rencontrer et fusionner. Dans le cas d'une étoile, l'obtention des hautes températures et des hautes densités est assurée de manière simultanée par l'effondrement gravitationnel de l'étoile sous sa propre masse. Les réactions de fusion produisent alors l'énergie nécessaire pour contrebalancer cet effondrement et assurer la stabilité de l'astre. Du moins, jusqu'à l'utilisation totale des combustibles qui entraine la mort de l'étoile.
Fission et fusion
Pour reproduire la fusion nucléaire sur Terre, il faut parvenir à maintenir dans un état contrôlé une certaine quantité de matière à des températures et des densités très élevées pour provoquer les réactions de fusion et surtout entretenir le processus pour fournir de l'énergie en continu. Cette condition est essentielle et constitue une différence entre les réactions de fusion et de fission.
Les réactions de fission se produisent en chaîne. Un neutron envoyé sur un noyau massif le déstabilise énergétiquement entraînant sa fission en deux noyaux de masse inférieure et produisant des neutrons qui vont à leur tour provoquer la fission de noyaux. La réaction, auto-entretenue, se poursuit tant que du combustible est disponible. Ceci présente un avantage essentiel pour assurer la production continue d'énergie ou lorsque l'on cherche à fabriquer une bombe très puissante. Avantage qui peut vite devenir un inconvénient si la réaction s'emballe et entraine la fusion complète du réacteur et la pollution radioactive qui s'en suit comme ce fut le cas à Tchernobyl en 1986. Ce risque d'emballement des réactions n'existe pas dans le cas des processus de fusion nucléaire puisque dès que les conditions de température et/ou de densité de la matière ne sont plus réunies, la réaction cesse.
L'enjeu de la production d'énergie par fission consiste donc à prévenir les risques d'emballement de la réaction alors que celui la production d'énergie par fusion consiste à maintenir le système dans les conditions permettant la réalisation des réactions. La fission est donc un processus simple à mettre en oeuvre mais risqué alors que la fusion est un processus complexe mais qui ne présente pas de risques similaires. La fusion présente par ailleurs d'autres avantages par rapport à la fission. Les réactifs envisagés, le deutérium et le tritium (des isotopes lourds de l'hydrogène) sont relativement abondants. Chimiquement équivalent à l'hydrogène, le deutérium le remplace dans les molécules à hauteur de 0,015%. Cela peut paraître peu mais l'abondance de l'hydrogène -la molécule d'eau en contient deux atomes pour un atome d'oxygène- assure l'abondance de deutérium (qu'il faut cependant extraire des molécules). Le cas du tritium est différent. Ce dernier est un élément radioactif ayant une durée de vie très courte d'un peu plus de 12 ans. Ainsi il n'existe qu'en très petite quantité de manière naturelle mais sa synthèse est maitrisée depuis plusieurs décennies. Les matériaux combustibles pour la fusion nucléaires sont donc largement plus abondants que ceux disponible pour la fission, c'est-à-dire l'uranium.
L'autre avantage majeur de la fusion sur la fission concerne les déchets produits. Les réactions de fission nucléaire produisent des déchets radioactifs dont les durées de vie sont très longues, de l'ordre de plusieurs centaines de milliers d'années. Le problème concernant ces déchets ne tient pas tant de leur dangerosité que de la difficulté à les stocker de manière sécurisée sur des périodes aussi longues. Quels sont les terrains géologiques qui vont rester stables pour les prochains 200.000 ans ? Comment assurer la transmission de la mémoire de ces stockages ? Pour faire simple : que faut-il écrire sur les déchets pour être sûr d'être compris dans 100.000 ans ? Dans le cas de la fusion, les déchets radioactifs, en quantité beaucoup moins importante, ont des durées de vie plus courtes, de l'ordre de la centaine d'année.
Le contrôle de la production d'énergie par fusion nucléaire présente ainsi de nombreux avantages : l'existence de combustible relativement abondant ; un ratio très élevé entre la quantité de combustible nécessaire et l'énergie produite ; une quantité de déchets nocifs relativement faibles. Cependant, le processus clé ayant lieu au coeur des étoiles et permettant le démarrage des réactions de fusions -l'effondrement gravitationnel- ne peut pas être reproduit sur Terre. Pour créer les conditions de fusion nucléaire, deux procédés ont été explorés : le confinement magnétique et le confinement inertiel.
Le confinement magnétique
La méthode de confinement magnétique du plasma est celle qui se rapproche le plus de ce qui se passe au coeur des étoiles. Les réactions de fusion y ont lieu de manière continue. Ce sont ainsi plusieurs centaines de millions de tonnes d'hydrogène qui sont consommées chaque seconde par le soleil. La méthode de confinement magnétique a pour but de contrôler un "burning plasma" [1]. Il s'agit de maintenir le plasma dans les conditions de température et de densité qui permettent d'entretenir les réactions de fusion de manière permanente. Dans ce dispositif, l'énergie est donc produite de manière continue, à condition que l'on intègre dans le plasma du combustible au fur et à mesure que celui-ci est consommé. Le plasma est contrôlé dans une chambre de confinement magnétique de forme toroïdale appelée "tokamak". Des aimants situés autour de la chambre créent à l'intérieur de celle-ci un champ magnétique torique qui maintient le plasma à bonne distance de la surface du tokamak. Il faut en effet éviter tout contact entre la chambre et le plasma étant donné la température de ce dernier.
Même si cela fait plusieurs décennies que les expériences de confinement ont lieu, de nombreuses difficultés doivent encore être surpassées. Ces problèmes sont de natures théoriques en ce qui concerne le comportement des plasmas chauds, notamment ses instabilités qu'il faut comprendre et modéliser. Mais ce sont aussi des difficultés techniques dans le domaine des sciences des matériaux pour la réalisation des tokamaks. Le projet International Thermonuclear Experimental Reactor (ITER) [2], mentionné dans la note sur le budget 2011, et qui est actuellement en construction à Cadarache, est basé sur le principe du tokamak.
Une nouvelle méthode de confinement magnétique
Des chercheurs du Massachussetts Institute of Technology (MIT) ont proposé récemment une nouvelle méthode de confinement. Le Levitation Dipole Experiment (LDX) [3] consiste à maintenir en lévitation, au centre d'une chambre, un aimant en forme d'anneau. Cet aimant produit un champ toroïdal qui permet de confiner un plasma au sein de la chambre. Ainsi, alors que le confinement magnétique traditionnel permet de contrôler le plasma à l'intérieur du tokamak, et donc des aimants, la méthode de lévitation magnétique permet de contrôler le plasma à l'extérieur de l'aimant. On parle de confinement inverse. La création de ce nouveau dispositif est inspirée des résultats de la recherche astronomique sur les magnétosphères. Le champ magnétique créé par les planètes est un champ toroïdal. Ce champ permet donc de confiner des particules chargées comme cela se passe dans la magnétosphère terrestre dans des régions appelées ceintures de Van Allen.
La découverte effectuée récemment concerne les turbulences aléatoires observées dans le plasma. Celles-ci ont normalement pour conséquence de disperser les particules du plasma. Or, il a été observé que le plasma confiné par cette nouvelle méthode pouvait aussi se densifier grâce à ces turbulences. La contraction locale par turbulence avait été observée dans l'espace mais n'avait jamais été reproduite en laboratoire avant. Connaissant l'importance de l'augmentation de la densité du plasma pour provoquer les réactions de fusion nucléaire, cette découverte pourrait susciter des retombées pour la réalisation de la fusion par confinement magnétique.
Cependant, le LDX a pour but premier de reproduire les champs magnétiques créés par les planètes. C'est avant tout un appareil destiné à l'étude des magnétosphères. L'expérience effectuée ouvre de nouvelles perspectives dans la production d'énergie par fusion mais nécessite de nombreux développements pour l'orienter dans cette voie. Le LDX reste en revanche un instrument capital afin de développer les connaissances sur les plasmas et leur confinement et afin d'assurer la formation des chercheurs dans le domaine, ressources indispensables à la poursuite des recherche sur la fusion par confinement.
Le confinement inertiel : la fusion par laser
Il est important de noter tout d'abord que le développement des installations lasers utilisées dans le cadre des expériences de fusion par confinement inertiel est avant tout lié à des impératifs de défense et d'armement nucléaire. L'arrêt des essais nucléaires pose un problème fondamental pour la défense : comment s'assurer que l'arsenal nucléaire reste opérationnel sans effectuer de tests ? Ce point est capital car c'est sur cette assurance de l'efficacité de l'arme que se fonde le principe de dissuasion nucléaire.
Pour pouvoir abandonner les essais nucléaires, il faut mettre en place des moyens d'expérimentation alternatifs. C'est ce qui a été fait en France par la création du programme Simulation [4]. Ce programme comprend un premier volet de simulation numérique permettant de comprendre et d'analyser les phénomènes intervenant dans l'explosion d'une arme nucléaire. Cependant, les modèles utilisés ont besoin d'être confrontés à une forme d'expérimentation. Le deuxième volet comprend donc une partie expérimentale dans laquelle les installations laser jouent un rôle essentiel.
Ces installations, la National Ignition Facility (NIF) [5] aux Etats-Unis et le Laser MégaJoule (LMJ) [6] en France, permettent de reproduire les conditions thermodynamiques dans lesquelles se produisent les réactions lors de l'explosion d'une arme nucléaire. Ces conditions étant aussi celles nécessaires à la fusion nucléaire dans le but de produire de l'énergie, ces installations contribuent naturellement à la recherche dans ce domaine mettant en oeuvre la méthode de confinement inertiel par laser. Dans ce dispositif, des dizaines de faisceaux lasers envoient une impulsion très brève et très énergétique sur une cible solide de deux millimètres de diamètre. L'absorption de l'énergie laser par la cible entraine la dilatation des couches externes et, en réaction, la compression des couches internes. La densité et la température au sein de la cible, composée de deutérium et tritium, augmentent fortement entrainant l'apparition d'un point chaud puis le démarrage des réactions de fusion.
Le dispositif nécessaire est immense en comparaison avec la taille de la cible. Le bâtiment du NIF couvre la surface de trois terrains de football. La majeure partie est dédiée aux lignes qui permettent de produire les 192 faisceaux lasers. Les faisceaux convergent dans une sphère de 10 mètres de diamètre au sein de laquelle se trouve la cible, placée dans un cylindre d'or, appelé hohlraum, de quelques millimètres de long seulement.
Un allumage en vue
Les chercheurs du NIF ont annoncé récemment que les conditions initiales permettant l'allumage pourraient être réunies avant la fin de l'année soit seulement quelques mois après la mise en service de l'instrument. Cette avancée a été possible grâce au développement d'une technique de mesure par le Plasma Science and Fusion Center (PSFC) du MIT [7]. Cette technique, la "fusion backlighting method", proposée en 2008, a été utilisée avec succès pour mesurer les propriétés électromagnétiques régnant autour de la cible à l'Université de Rochester. Cette expérience permet de comprendre les conditions ayant lieu au sein du hohlraum et d'améliorer le dispositif afin d'atteindre l'allumage.
Il est à noter ici que le terme d'allumage n'a pas la même signification selon que l'on parle de confinement magnétique ou de confinement inertiel. Dans le premier cas, l'allumage est atteint lorsque l'énergie émise par le plasma en fusion atteint le niveau d'énergie requis pour démarrer et entretenir la réaction. Au-delà de l'allumage, le réacteur produit donc plus d'énergie qu'il n'en consomme. Dans le second cas, l'allumage correspond au moment où les réactions nucléaires commencent au sein de la cible.
Les problèmes à résoudre afin de produire de l'énergie par confinement inertiel sont essentiellement liés à la difficulté d'obtention des conditions initiales de température et de densité. La compression et le réchauffement simultanés de la cible par l'impulsion laser initiale présente des difficultés. Il ne semble pas possible d'atteindre des niveaux de température et de densité assez élevés seulement par compression. Une alternative, privilégiée au NIF et au LMJ, consiste à faire suivre les impulsions laser de compression par une autre impulsion permettant d'élever la température. On parle alors d'allumage rapide. Il faut par ailleurs obtenir au niveau du point chaud une température et une densité suffisante pour que la réaction s'auto-entretienne et consume l'ensemble de la cible afin d'en tirer le meilleur rendement.
L'obstacle principal à surmonter dans le cas de la fusion nucléaire par confinement inertiel concerne la production continue d'énergie. La combustion d'une cible dure quelques dizaines de picosecondes. L'énergie est donc produite de manière discrète. Pour arriver à produire de l'énergie de manière continue, il faut être capable de répéter l'opération de fusion plusieurs centaines voire milliers de fois par seconde. Il faut donc parvenir à assurer cette cadence malgré l'extrême précision requise, notamment sur le positionnement de la cible.
La production d'énergie par fusion nucléaire est un enjeu majeur à l'échelle internationale. Même si les retombées économiques ne sont pas attendues avant la seconde partie du siècle, les grandes puissances scientifiques consacrent des budgets conséquents pour la réalisation d'instruments que ce soit à l'échelle nationale avec les installations laser ou à l'échelle internationale notamment au travers du projet ITER [2]. Si plusieurs voies pourraient conduire à la réalisation de réacteur par fusion, il est encore trop tôt pour savoir lesquelles aboutiront, c'est-à-dire proposeront un rendement permettant une production industrielle d'énergie. Les différentes méthodes se trouvent donc dans un processus d'émulation plus que de compétition. Elles présentent toutes des obstacles qu'il reste à surmonter et qui demandent des progrès théoriques aussi bien que techniques.
En plus de cette émulation, la production de cette forme d'énergie nucléaire est aussi en concurrence avec toutes les formes d'énergies renouvelables. La récupération de l'énergie solaire par exemple pourrait voler la vedette à la fusion nucléaire si son rendement pouvait être considérablement amélioré dans les prochaines décennies. A quoi ressemble le Graal ? Personne ne le sait encore.
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L'auteur remercie le Dr James Van Dam, directeur de l'Institute for Fusion Studies (IFS) de l'University of Texas at Austin [8], pour son éclairage sur le sujet.
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