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Le sommet des forestiers : entre alertes rouges et sérénité
À l'invitation de l'ONF (Office Nationale des forêts), des forestiers slovènes, gallois, allemands, bulgares, lettons et français ont débité pendant trois jours leurs stratégies pour négocier le choc thermique : 2 à 4 degrés en plus pour le XXI° siècle. Tous enregistrent déjà pas mal de dégâts suite au premier coup de chaud séculaire - + 0,9 degré - de 1900 à 2000. On imaginerait à Murat un branle-bas de combat, des mises en demeure, une manif de Greenpeace ....
Eh bien, non. C'est troublant, mais aucun des forestiers Européens présents ne crie « Au feu ! ». Mieux : tous affichent, en caressant les branches des chênes centenaires, une évidente bonne humeur. Et des sourires relativement confiants. Le chercheur Alain Valadon (ONF) , invité du Sommet tempère à peine son optimisme : « Vous n'imaginez pas les ressources génétiques des peuplements forestiers ! C'est incroyable à quel point les arbres sont capables d'adaptation. D'évolution. In-cro-ya-ble ! »
Pourtant, il y aurait de quoi se faire du mouron. « Chez nous, confie le représentant catalan, les pins ont été littéralement dévastés par la sécheresse de 2007, puis par des ravageurs inconnus venus du Maghreb. La perte est colossale. Mêmes les palmiers de Barcelone, victimes d'une maladie inédite, ont failli y passer... » En France ? Des essences emblématiques comme les Chênes « pédonculés » qui occupent un million d'hectares dépérissent, perdent leurs feuilles, et devraient souffrir bientôt le martyre. Le pin sylvestre du sud méditerranéen est également à la peine. Peine de mort, assurent certains. Ils auraient tous disparu entre Aix et Marseille en 2100. Dans le seul Massif central, 30% des espèces seraient menacées...
Un espace forestier qui est passé de 12 millions d'hectares à 16 Millions entre 1950 et 1990
Alors pourquoi cette singulière sérénité des ingénieurs de la forêt ? Il y a d'abord ce constat général : jamais la forêt française ne s'est aussi bien portée depuis que le climat se réchauffe et que la pollution sévit. Entre 1950 et 1990, on est passé de moins de 12 millions d'hectares forestiers à près de 16 Millions ! ». Et en 1910, il y avait tout au plus 9 millions d'hectares boisés. En un siècle, tenez vous bien, la vitesse de croissance en hauteur, en diamètre et en fertilité des hêtres, s'est accru de 50% ! «
Tout se passe 1,5 fois plus vite en 2000 qu'en 1900 » note le chercheur Jean-Daniel Bontemps (INRA). À tel point que l'on pourrait bientôt, si le rythme se poursuivait, imaginer de réduire de vingt ans tous les vingt ans l'âge auquel on abat des hêtres pour exploitation ! « Même nous, on a parfois du mal à admettre l'évidence tant c'est inouï, confie Myriam Legay (ONF). Et les ravages des tempêtes récentes sont peut-être d'abord dus aux hauteurs records des cimes exposées au vent... » .
Le CO2 stimulerait la photosynthèse
Le pourquoi de cette exubérante vitalité ? Il est vraisemblable que l'augmentation du redouté CO2 dans l'atmosphère stimulerait la photosynthèse. Et que l'effet de serre a permis de faire gagner à la période de végétation des arbres à feuilles caduques une dizaine de jours en trente ans. Autre hypothèse : le réchauffement renforcerait les précipitations qui favorisent la croissance. Et les fameuses pluies acides qui décimaient les sapins vosgiens jaunâtres entre 1973 et 1981 ? Oubliez ! « Des « épiphénomènes » classés sans suite: « La forêt vosgienne affirme le chercheur Michel Becker, est même plus vigoureuse aujourd'hui qu'au siècle dernier » !
Gestion de la forêt : laisser faire ? Planifier ? Ou réguler ?
Attention tout de même de ne pas s'emballer Personne n'en vient à faire l'apologie de la pollution et du réchauffement au Sommet des forestiers du Cantal. En revanche, ces observations permettent de préciser les stratégies les plus pertinentes pour faire face au cuisant XXI° siècle.
Jusqu'à peu, il y avait en gros deux solutions. D'abord la méthode, disons ultra-libérale, qui consiste à laisser la loi du plus fort faire son office. Exemple : le Pin Sylvestre se meurt dans le midi de la France, vive le Pin d'Alep, moins sujet au stress hydrique.
Et puis la seconde méthode, planificatrice façon soviétique, consiste à planter massivement dés maintenant les essences les moins sensibles à la chaleur en lieu et place des thermo sensibles. Exemple : l'introduction des robustes chênes « sessiles » dans les forêts où le chêne « pédonculé » est semble-t-il condamné par les insolations.
Que les socio démocrates soient rassurés, il y a une troisième voie : la régulation. Car contrairement à ce qu'on pensait voilà peu, les arbres ne sont pas programmés une fois pour toutes. Leur logiciel Adn existe, mais il est souvent bien plus élastique qu'on ne l'imaginait et capable d'opérer les mises à jour nécessaires pour muter d'une génération à l'autre et s'adapter aux changements climatiques. Les colonies d'une même essence recèlent même des capacités génétiques virtuelles insoupçonnées.
Les ressources dormantes de l'Adn des arbres
Y compris des ressources dormantes que Daniel Thomas, Président du Pôle de compétitivité de Compiègne sur la Chimie verte, qualifie d'après des recherches très récentes de « fossiles mais disponibles ». C'est d'ailleurs un chercheur français de l'Inra, Antoine Kremer, qui fut le pionnier de cette découverte couronnée, il y a trois ans, par le prestigieux prix Wallenberg suite à l'analyse de 2600 populations de chênes. « Une récente étude espagnole de 2006 le confirme, note Alain Valadon. Des forêts de pins sylvestres catalans qu'on disait perdus se sont adaptés en à peine soixante ans ! Et puis regardez le sapin Douglas originaire de la froide et pluvieuse Amérique du Nord qui prospère sous le soleil Californien... »
Mais pour que ces mutations puissent s'exprimer, il faudra sans doute l'aide, subtile, de l'Homme. « L'adaptabilité d'une forêt est conditionnée par sa diversité génétique », martèle Alain Valadon. Aussi a-t-il entrepris un programme pour mesurer cette variété dans plusieurs forêts françaises. En sélectionnant notamment des groupes d'arbres qui s'étaient déjà adaptés aux conditions extrêmes de sécheresse. « À terme, nous pourrions introduire les pousses issues de leurs graines dans des forêts génétiquement pauvres, poursuit Valadon. Pour aider celles-ci à réussir leur mue par hybridation naturelle. ».
Convaincus les forestiers gallois ? Disons poliment attentifs. Car eux n'ont pas eu la patience d'attendre : ils procèdent depuis plusieurs années à des replantations massives de nouvelles essences à la place des plus fragiles. Reste que l'option de la « régulation génétique » progresse. Une révolution copernicienne pour les ingénieurs des arbres ?
Le secret des arbres
« En tout cas, réagit Myriam Legay, une évolution majeure de la conception que l'on se faisait de ce milieu forestier maintenu à l'état à peu prés sauvage depuis son origine » Et c'est bien ça qui est le plus fascinant. Car seuls les arbres forestiers peuvent, à l'épreuve d'un réchauffement majeur, témoigner de ces secrets originels du vivant. Seulement eux peuvent révéler un génie génétique naturel et un pouvoir d'adaptation quasiment intact et méconnu depuis 4000 ans. La fin de la période glaciaire, c'est hier pour un hêtre de 2009. Vingt générations à peine le séparent de ses premiers ancêtres européens.
Guillaume Malaurie
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