dimanche 26 juillet 2009

Les merveilles englouties de Juan de Nova


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ÎLES EPARSES. Route de navigation très fréquentée depuis l’époque des navigateurs portuguais, le canal du Mozambique a, depuis, été le théâtre de multiples naufrages dont bon nombre n’ont jamais été référencés et encore moins étudiés. Pour la première fois, des scientifiques du Département de recherche archéologique subaquatique et sous-marine (Drassm) ont jeté les bases d’un inventaire du patrimoine maritime des Éparses, comme ici à Juan de Nova.





Mentionnées par les navigateurs arabes du moyen-âge, puis par les découvreurs portuguais qui les ont croisées sur leur route des Indes, les îles Éparses et leurs récifs coraliens ont depuis des siècles été le théâtre de centaines de naufrages, certains encore survenus au XXe siècle. Route maritime très fréquentée, le canal du Mozambique recèle de trésors qui n’ont été qu’épisodiquement localisés voire étudiés. Aussi, la mission du Marion-Dufresne dans ce cinquième district des Terres australes et antarctiques françaises (Taaf) ne pouvait être ignorée par les scientifiques du Département de recherche archéologique subaquatique et sous-marine (Drassm), dépendant du ministère de la Culture et de la Communication. Avec son équipe, son directeur, Michel L’Hour, a déjà fouillé une bonne partie des mers du globe à la découverte de trésors enfouis sous l’eau, le sable et la vase. Les Éparses, ces grands voyageurs n’ont pu s’y rendre qu’une seule fois dans les années 80, et seulement à Bassas da India “plus rare que la lune à visiter”, précise le scientifique. Et le temps malheureusement limité sur chacune des îles ne permettra pas de mener des fouilles complètes. “Nous venons dresser un premier inventaire du patrimoine archéologique de ces îles. Il s’agît de recenser le maximum d’éléments anthropiques, c’est-à-dire relatifs à l’homme, qui se trouvent en mer ou sur le littoral et dont nous avons eu écho soit dans la documentation d’archives, soit à partir de témoignages récents”, indique Michel L’Hour. Chargés d’évaluer le patrimoine historique potentiel de l’ensemble du domaine public maritime (DPM) français, les archéologues veulent établir dans les Éparses une carte des plus précises possibles, pour recouper celles du service hydrographique et océanique de la Marine (SHOM). Tant pis s’ils ne trouvent pas quelque trésor noyé ou une caravelle portuguaise et sa précieuse cargaison. “L’important est que le plus possibles d’éléments soient répertoriés, afin que, même dans plusieurs années, on soit capable d’identifier ces restes sans que l’on pense faire une nouvelle découverte à chaque fois. Même si l’on ne fait pas de découverte majeure, c’est un travail essentiel pour la gestion du patrimoine en mer”, précise Frédéric Leroy, un autre archéologue-plongeur de l’équipe.

Sur Juan de Nova, où les épaves fleurissent, même les plus récentes ont leur intérêt. Ainsi ce crevettier coréen, le Kwang Myong, qui a sans doute subi un sacré coup de tabac pour voir ses 45 mètres de long se retrouver entièrement échoués sur une plage au nord de l’île, au début des années 70. Déjà connue mais restant elle ausi à répertorier avec des coordonnées GPS précises et des photos d’identification, l’épave du S.S. Tottenham, un navire marchand britannique échoué sur le récif au sud de Juan de Nova. Surnommé “le charbonnier”, non pas pour sa cargaison puisqu’il transportait du manganèse, mais à cause du charbon qu’il contenait pour alimenter ses impressionnantes machines à vapeurs, ce cargo de 150 mètres de long avait fait naufrage sur le récif en 1911. Visible depuis la plage et extrèmement bien conservé malgré près d’un siècle d’exposition aux vents et à la houle, sa carte d’identité avait déjà été complétée par le Drassm avant le voyage. Les scientifiques ont en effet retrouvé le nom de l’armateur et les circonstances de l’accident dans les archives maritimes.

Après une première journée de repérage, l’équipe se lance, à marée basse, dans une éprouvante marche à travers le lagon pour aller rejoindre le navire échoué sur le platier. Mais c’est une autre cible qui intéresse aussi les archéologues. À 1 km à l’est du charbonnier, Fredéric Leroy a repéré sur des photos satellites de l’île de petits traits noirs qui n’ont rien de naturels. Après discussion avec certains scientifiques déjà venus en exploration sur Juan, il s’agit manifestement de canons assez anciens, qu’il faut là encore aller identifier. Rendue sur les lieux, l’équipe découvre pas moins de 19 pièces d’artillerie en ferraille d’environ 1,80 m, entièrement concrétionnnées et alignées de part et d’autres d’un chenal virtuel. Dans un axe central, plus loin sur la barrière de corail, une ancre monumentale dépasse de l’écume. Si à première vue l’ensemble paraît dater du XVIIIe siècle et avoir une origine britannique, les archéologues auraient bien aimé trouver des morceaux de céramique ou autre permettant de dater et d’identifier une éventuelle épave. Mais pour Michel L’Hour, cela ne ressemble pas à une scène de naufrage. “À première vue, il me semble plutôt qu’on a eu là une manœuvre de déséchouage. Les canons sont trop bien alignés de part et d’autre d’un chenal, comme si l’équipage avait voulu avait voulu se délester des canons pour alléger le bateau. L’ancre a pu servir de point de fixation pour ensuite haler le navire, une manœuvre courante à l’époque”, interprète le spécialiste. Voilà en tout cas des données supplémentaires qui coïncideront peut-être un jour avec des documents retrouvés au détour d’une bibliothèque ou d’une archive.

Dans le même temps, l’autre partie de l’équipe s’est rendue en mer à la recherche d’un éventuel patrimoine encore immergé. Un travail de prospection qui reste exceptionnel pour le Drassm, dont l’objectif est d’abord la conservation et la valorisation. À bord d’un zodiac qui tire dans son sillage un magnétomètre, les scientifiques relèvent toutes les anomalies de nature métallique qu’ils décèlent en faisant le tour du lagon. Et justement, l’équipe en mer reçoit un signal particulièrement important, qu’il faut absolument aller identifier de visu. Au troisième jour d’escale à Juan de Nova, il est enfin temps de plonger. Gisant entre 15 et 30 m de fond, les scienfiques vont découvrir, sous la surveillance d’un requin dormeur, une autre épave “moderne”. Un cargo de 80 m de long, dans un état de conservation exceptionnel et que les plongeurs vont explorer. Ils plongeront à Juan à six reprises sur des épaves ainsi découvertes, dont une autre de 100 mètres de long. Des données supplémentaires à intégrer à l’inventaire, même s’il y a peu de chances de réentendre parler de ces épaves dans les musées ou salles d’exposition.

Ce travail de prospection, les archéologues du Drassm le répèteront avec plus ou moins de bonheur sur l’ensemble des îles Éparses visitées par le Marion Dufresne. “Nous avions avant de partir des traces écrites concernant au moins 150 navires disparus dans le secteur du canal du Mozambique”, rappelle Michel L’Hour. Rien qu’à Juan de Nova, ce sont une vingtaine d’épaves qui ont déjà été répertoriées.

De notre envoyé spécial Sébastien Gignoux






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