Il est des figures qui marquent durablement l'inconscient collectif parce les événements, tel un grain de sable dans un rouage bien huilé, viennent perturber une vie que rien ne prédestinait à bifurquer. De Pierre Sarda, que l'on surnomma « Tragine », on aurait du mal à discerner, dans les premières années de sa vie, les moindres prémices de ce qui le conduira au bagne et à la mort. Né à Leychert, petit village dardé par les rayons d'un soleil généreusement dispensé par une belle exposition en soulane, en 1805, il passe son enfance à Roquefixade avant de devenir tisserand chez un de ses oncles, tradition locale oblige.
Il se marie, devient père d'un fils et, lors de ses moments de liberté, parcourt inlassablement ce Plantaurel qu'il affectionne particulièrement, connaissant le moindre sentier, la moindre pierre, le moindre détail. Une vie simple et normale en quelque sorte jusqu'en janvier 1837 : une altercation qui dégénère et voilà notre homme, solide gaillard aguerri aux courses par les chemins, qui blesse son rival de deux coups de couteau. Le maire de Leychert, Guillaume Pic, bien que son ami depuis l'enfance, est alors contraint de signaler les faits à la gendarmerie mais l'huissier, venu notifier à « Tragine » sa comparution, est accueilli à coups de fusil. Arrêté, emprisonné au château de Foix, il écope de cinq ans de prison.
Un héros romantique
C'est peu, pourrait-on penser, au regard du délit commis, mais il faut voir que de nombreux témoignages en sa faveur permirent de lui trouver des circonstances atténuantes, une pétition « longue comme le bras » venant encore plaider pour lui. Mais notre homme possède un caractère bien trempé et focalise son ressenti sur Guillaume Pic, celui qu'il rend responsable de ses déboires. Avec trois codétenus, il scie les barreaux de sa geôle et s'enfuit… avant d'être repris. Qu'à cela ne tienne, il s'évade encore et toujours, se cachant dès lors dans le massif du Plantaurel, avec la complicité tacite des populations environnantes : les hommes laissaient toujours traîner quelques victuailles aux alentours pour l'aider à subsister et les femmes, fort opportunément, oubliaient de rentrer le linge qui séchait, les maris feignant de ne pas s'apercevoir qu'un pantalon ou une chemise ne font plus partie de leur garde-robe.
La presse s'empare de cet homme devenu extraordinaire et en fit une sorte de héros romantique. Pour la justice, il n'en était rien, bafouée dans ses prérogatives, d'autant que Guillaume Pic vit désormais dans la terreur d'une vengeance aveugle. Il démissionna d'ailleurs de son mandat de maire et des gendarmes durent monter la garde autour de sa maison.
Victime d'une trahison
Fin 1838, courant toujours, « Tragine » est condamné aux travaux forcés à perpétuité par contumace et il aurait pu échapper longtemps à la vindicte judiciaire, qui ne tolérait pas un tel camouflé, s'il n'avait été victime d'une trahison. Sous couvert de le faire passer en Andorre afin de se faire oublier, le maire de Larcat organise un traquenard et les gendarmes, en cette matinée du 19 novembre 1840, peuvent ramener fièrement leur prisonnier à la prison de Foix.
Exposé au pilori un jour de foire, étroitement surveillé, « Tragine » continue cependant à susciter l'empathie populaire mais ne parvient pas à s'évader, une nouvelle fois. Transporté au bagne de Toulon, le 28 avril 1840, il y mourut dix-huit ans plus tard, sans avoir revu ni femme, ni enfant, ni Plantaurel.
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