samedi 20 décembre 2008

La disparition des dinosaures, encore et toujours

DINotoxtrA, la mémoire de l'Histoire des Hommes
A quoi est due cette crise biologique, qui marque la transition entre le crétacé et le tertiaire ? A la chute d'une météorite, il y a 65 millions d'années, au large de l'actuel territoire mexicain, répond une grande majorité des scientifiques. Non : à un volcanisme intense qui sévissait à la même époque dans le Deccan, sur le territoire actuel de l'Inde, objecte une petite minorité de chercheurs. Peu nombreux, les tenants de cette théorie n'entendent pas rendre les armes. Bien au contraire. A l'occasion du congrès de l'American Geophysical Union (AGU), qui se tenait à San Francisco (Californie) du 15 au 19 décembre, plusieurs équipes ont rendu publics de nouveaux résultats à l'appui de leur conviction.

A la fin des années 1970, Luis Alvarez (Prix Nobel de physique 1968) et son fils Walter ont l'idée de doser l'iridium dans la couche argileuse dite "K-T" qui, presque totalement dépourvue de fossiles, signale la crise biologique. Ce niveau sédimentaire se retrouve à peu près partout sur Terre, ce qui atteste du caractère global de l'événement. Les mesures des deux chercheurs montrent que l'iridium, métal très rare sur Terre, s'y trouve en abondance. En 1980, ils formulent l'hypothèse d'un impact météoritique, l'iridium étant l'une des signatures des objets extraterrestres. Quant au cratère d'impact, on le retrouve, au début des années 1990, grâce à des mesures de gravimétrie, au large du Yucatan (Mexique), non loin d'un bourg du nom de Chicxulub. Bien que gigantesque (plus de 200 kilomètres de diamètre), l'accumulation de plusieurs centaines de mètres de sédiments l'avait jusqu'alors dérobé aux regards.
L'anomalie en iridium coïncidait avec l'absence de fossiles, le cratère était découvert... l'affaire était-elle entendue ? Non. Au début des années 1980, plusieurs chercheurs proposent de regarder du côté de l'Inde et ses trapps, ces formations basaltiques étagées sur des épaisseurs de plusieurs milliers de mètres, conséquences d'un volcanisme d'une énorme intensité.
En 2004, la micropaléontologue Gerta Keller (université de Princeton) jette le trouble en annonçant que l'étude d'une carotte prélevée sur le site de Chicxulub l'amène à la conclusion que la météorite est tombée 300 000 ans avant l'extinction du "K-T" ! Elle n'a donc pas provoqué de crise biologique, et il faut chercher ailleurs la source de l'iridium accumulé dans la couche qui marque l'extinction...

De DinotoxtrA

Au congrès de l'AGU, la chercheuse a présenté de nouvelles analyses de séquences sédimentaires qui, selon elle, confirment ces précédentes conclusions. Celles-ci laissent bon nombre de ses pairs dubitatifs. "Ses arguments et interprétations ont été examinés en détail par de nombreux scientifiques et rejetés", dit Philippe Claeys (Vrije Universiteit Brussel), spécialiste des impacts météoritiques. "Qu'elle travaille sur les roches du cratère ou sur les matériaux éjectés et déposés aux alentours du golfe du Mexique, elle n'est à ce jour pas parvenue à convaincre la communauté géologique", ajoute-t-il.
Mais les partisans du Deccan ont de nouveaux arguments en main. En étudiant notamment la signature laissée par le champ magnétique terrestre dans plusieurs centaines d'échantillons de roches basaltiques, des chercheurs de l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP) sont parvenus à reconstruire la séquence des événements ayant conduit à la formation des trapps. Les écoulements de lave se sont-ils opérés de manière lente sur plusieurs dizaines de millions d'années ? "Non, répond Vincent Courtillot, directeur de l'IPGP et "volcaniste" de la première heure. La lave du Deccan nous apparaît comme une sorte de structure fractale, explique-t-il. Elle est formée de coulées regroupées en super-coulées, elles-mêmes regroupées en trois épisodes majeurs. C'est une structure à trois, peut-être quatre niveaux."
Selon ces travaux, menés par Anne-Lise Chenet et Frédéric Fluteau (IPGP), des empilements de près de 200 mètres de lave ont pu s'accumuler en quelques décennies seulement, revoyant considérablement à la baisse les estimations précédentes. Au total, ce sont trois épisodes volcaniques majeurs, relativement brefs et disjoints, qui auraient conduit à la formation de ces trapps. Le premier il y a 67,5 millions d'années, le deuxième juste avant l'extinction, il y a 65 millions d'années, le troisième 100 000 ans plus tard.
L'enchaînement chronologique des trois épisodes n'est pas le seul paramètre important. La dynamique de chacun d'eux, revue à la hausse par ces travaux, est cruciale : elle détermine l'intensité des émissions de dioxyde de carbone (CO2) et de dioxyde de soufre (SO2). Car, même considérables - de 10 à 150 milliards de tonnes (Gt) de SO2 émis par épisode -, ces émissions, si elles avaient été "diluées" sur plusieurs dizaines de millions d'années, n'auraient guère pu avoir d'effet massif sur la biosphère. Cet effet repose sur un mécanisme simple : le SO2 émis se transforme en particules sulfatées qui, dans la haute atmosphère, réfléchissent le rayonnement solaire, conduisent à un refroidissement général et à des pluies acides.
Ces nouvelles données feront-elles changer d'avis les "météoristes" ? Rien n'est moins sûr. Car, même si les évaluations du choc de Chicxulub ne conduisent "qu'à" des émissions de 50 à 500 Gt de SO2, celles-ci se produisent sur une échelle de temps bien plus petite. "Il est ici question d'heures, dit Philippe Claeys. En outre, Chicxulub est de loin le plus grand cratère formé depuis qu'existent des fossiles, soit 540 millions d'années. Qu'il se soit formé juste avant une des plus grandes crises de la biosphère, sans l'avoir provoquée, constituerait simplement une coïncidence incroyable."
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