dimanche 10 août 2008

Nucléaire: Génération quatre: la fission se réinvente

La filière «atome» – qui produit 35% de l’électricité de l’Union Européenne – offre un réel potentiel pour réduire l’utilisation des hydrocarbures. Si elle est neutre vis-à-vis de l’effet de serre et peut produire en quantité, elle brûle aussi une ressource limitée, produit des déchets encombrants et présente des risques énormes. Comment pallier ces défauts et accroître la compétitivité économique du nucléaire? C’est le défi que la quatrième génération de réacteurs prétend relever.

Image virtuelle, en 3D, du réacteur EPR de 3ème génération. Le premier est actuellement en construction en Finlande. © Image & Process, AREVA NP
Image virtuelle, en 3D, du réacteur EPR de 3ème génération. Le premier est actuellement en construction en Finlande. © Image & Process, AREVA NP
Image virtuelle du circuit primaire du réacteur EPR. Il est constitué principalement de la cuve, des générateurs de vapeur, du pressuriseur et des pompes primaires. © Image & Process, AREVA NP
Image virtuelle du circuit primaire du réacteur EPR. Il est constitué principalement de la cuve, des générateurs de vapeur, du pressuriseur et des pompes primaires. © Image & Process, AREVA NP

Retour en grâce du nucléaire après deux décennies difficiles: en présence des présidents français et chinois, le groupe industriel AREVA signe fin 2007 un contrat pour la fourniture à la Chine de deux réacteurs EPR (European pressurised water reactor). Autre commande du leader mondial du nucléaire, la réalisation en Finlande du premier réacteur de ce type, qui devrait entrer en service en 2011 avec un retard de deux ans et des rallonges budgétaires.

L’EPR, c’est l’actuelle troisième génération de réacteurs nucléaires: améliorée certes, mais liée à l’uranium 235 et incapable de recycler massivement l’uranium de ses combustibles usés, et par conséquent de répondre à la limitation des ressources. «Vers le milieu du 21ème siècle, si le nucléaire continue à se développer avec les réacteurs à eau actuels qui utilisent essentiellement l’uranium 235, représentant moins de 1% de l’uranium naturel, on estime qu’on aura engagé les trois quarts des ressources connues avec certitude» assure Frank Carré, directeur adjoint du développement et de l’innovation nucléaires au Commissariat à l’énergie atomique français.

Brûler tout l’uranium

La technologie actuelle utilise l’eau à la fois comme ralentisseur des réactions nucléaires dans le cœur du réacteur et comme caloporteur, transmettant la chaleur aux échangeurs qui produisent la vapeur entraînant un turbo - alternateur. Elle ne permet pas de brûler les 99% d’uranium 238 du minerai naturel. Majoritaires dans le parc actuel, les réacteurs à eau pressurée exigent un enrichissement préalable du minerai de 3% à 5% d’uranium 235.

Mais le défi du développement durable demande plus: il passe par une quatrième génération de réacteurs nucléaires à neutrons rapides capables de brûler tout l’uranium en le convertissant en plutonium. Plusieurs initiatives témoignent d’un regain d’intérêt pour cette technologie qui a conduit à divers prototypes depuis les années ‘60. Outre les projets nationaux en Inde, en Chine et en Russie, on compte le forum international Generation IV des pays nucléaires, le projet international sur les réacteurs nucléaires innovants (INPRO) de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA), le Global Nuclear Energy Partnership (GNEP) aux États-Unis, et la Sustainable Nuclear Energy Platform de l’Union Européenne.

La France, les États-Unis et le Japon prévoient de construire, vers 2025, des prototypes de réacteurs refroidis au sodium, un autre caloporteur ayant fait l’objet d’études poussées Le sodium ne ralentit pas les neutrons, qui, par leur vitesse, peuvent convertir l’uranium naturel en plutonium, lui aussi un combustible nucléaire, et même de le régénérer efficacement, ce qui permet de le recycler une dizaine de fois. On économise ainsi l’uranium et on limite la quantité de déchets. Autre avantage: les stocks très importants (220 000 tonnes en France) d’uranium appauvri issu des centrales actuelles constituent une réserve de combustible.

La collaboration avant la concurrence

Mais le coût trop élevé de cette technologie hypothèque pour l’instant sa viabilité commerciale, à moins que des tensions sur le marché de l’uranium ne la rendent bientôt compétitive. «La Russie l’Inde, le Japon et la Chine ont poursuivi le développement de ces réacteurs quand les États-Unis l’ont arrêté à la fin des années 1970 et l’Europe en 1998 avec l’abandon de Superphénix. L’Inde est sur le point de faire démarrer un prototype de 500 MW électriques dès 2010» (1). La Chine aussi est dans la course mondiale aux neutrons rapides avec un réacteur expérimental prévu en 2010.

Pour l’heure, les défis technologiques sont tels que les compétiteurs de demain s’allient. C’est le sens du forum Generation IV qui regroupe les États-Unis, la France, le Japon, la Corée du Sud, l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Argentine, le Royaume-Uni, le Canada, la Suisse, les européens du nucléaire (Euratom) ainsi que, depuis peu, la Chine et la Russie. Les experts ont travaillé entre 2000 et 2002 à la sélection de six systèmes potentiellement importants pour le 21e siècle. Regroupés sous l’appellation «systèmes nucléaires de quatrième génération», ils n’ont, en fait, pas le même degré de maturité.

Six offres technologiques

Outre les réacteurs à neutrons rapides au sodium, les réacteurs à haute température connaissent aussi un regain d’intérêt. «L’effort international sur ce deuxième axe est relancé par des projets en Afrique du Sud (PBMR, prévu pour 2014), et aux États-Unis (NGNP, vers 2020» Cette technologie pourrait étendre les applications du nucléaire à la production de chaleur industrielle en particulier pour la production d’hydrogène, de carburants de synthèse et d’eau potable par dessalement de l’eau de mer, autant de ressources-clé pour le futur.

Deux autres axes innovants portent sur de nouveaux caloporteurs pour les systèmes à neutrons rapides, le plomb et le gaz hélium. «Les réacteurs rapides refroidis au gaz, moins bon caloporteur que le sodium, réclament le développement de combustibles réfractaires capables de supporter des accidents de refroidissement. En revanche, ils offrent, par rapport aux réacteurs à métaux liquides (sodium et plomb) l’avantage d’un caloporteur monophasique et chimiquement inerte, et un accès plus aisé pour l’inspection en service et les réparations».

Les deux dernières technologies, à sels fondus et à eau supercritique, sont vues davantage comme des filières à long terme pour lesquelles on est encore loin de construire des prototypes.

Les risques

Tous ces systèmes devront satisfaire des exigences de sécurité notablement renforcées depuis l’accident de Tchernobyl en 1986 et l’attentat du World Trade Center en 2001. Ils privilégieront des enceintes de confinement robustes et une gestion des accidents qui minimise les besoins d’intervention humaine – en particulier pour évacuer la puissance résiduelle du réacteur. Le risque de prolifération serait géré à la fois par les contrôles de l’AIEA, des modes de recyclage dissuasifs pour le détournement de matière, et des centres régionaux en cycle du combustible offrant leurs services – de fourniture et de reprise du combustible usé – aux pays exploitant des réacteurs. Une approche qui dispenserait ces pays de s’équiper en technologies potentiellement dangereuses, mais créerait une asymétrie avec les nations maîtrisant toute la chaîne technologique, ce qui constitue un risque géopolitique en soi.

La naissance des systèmes nucléaires de quatrième génération, à même de jouer un rôle important dans l’équilibre énergétique mondial, apparaît aujourd’hui très dépendante des perspectives de développement technologiques, des préoccupations environnementales, et des stratégies économiques. Une exploration du futur qui devra compter aussi avec les énergies concurrentes du nucléaire et l’acceptation de celles-ci par la société.

Source:ec.europa.eu/research/research-eu

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