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L’année dernière, la Commission baleinière internationale (IWC) n’est pas parvenue à adopter de décision concernant la levée du moratoire sur la chasse commerciale à la baleine dans l’océan (imposé en 1986). La décision a recueilli un nombre relativement important de voix, mais cette "majorité qualifiée" n’a toutefois pas été suffisante, malgré une pression considérable exercée par le Japon, la Norvège et l’Islande. Cette "troïka" insiste sur la levée du moratoire, prétextant que la population de baleines a déjà été rétablie, ce qui permettrait de relancer la chasse commerciale. Nul ne peut garantir que la question de la levée du moratoire ne sera pas de nouveau soulevée par la CICB cette année.
En attendant, les baleines du Pacifique ont modifié la mélodie de leurs chants nuptiaux. Ce fait, enregistré l’année dernière et confirmé en 2008, a bouleversé les océanologues. D’après eux, ce changement brusque dans le comportement des mammifères marins est une révolution totale dans la vision humaine de la culture comportementale de cette population. Les scientifiques estiment que l’apparition d’un nouveau chant nuptial des baleines est due au fait que l’ancienne mélodie est tombée en désuétude, n’intéressant plus les femelles, ce qui aurait poussé les mâles à en composer une autre.
Cependant, une autre hypothèse est possible. Pourquoi ne pas supposer que la communauté des baleines ait senti le vent d’une nouvelle étape de la guerre interminable menée par les humains ? C’est justement dans des conditions de danger que de nouveaux sons naissent. L’homme en sait toujours très peu sur la vie des baleines, et la chose qu’il sait faire le mieux est malheureusement encore d’exterminer ces très vieux animaux qui sont les plus grands habitants de la planète.
Peu soucieux de sa réputation dans le monde, le Japon a envoyé, fin novembre dernier, une flottille de pêche à la baleine dans les mers antarctiques. Les cinq navires avaient pour objectif de prendre quelques centaines de petits rorquals, chassés tous les ans. Il était initialement prévu de chasser en outre 50 baleines à bosse (jubartes), mais le gouvernement japonais a interdit la chasse de cette espèce le 21 décembre 2007.
Tokyo affirme que la chasse à la baleine est nécessaire pour les recherches scientifiques, car elle aide les chercheurs à contrôler la population des cétacés et à étudier le comportement des bêtes, et qu’en outre, la vente de viande de baleine permet de financer des programmes scientifiques. Or, les écologistes sont persuadés que la chasse à la baleine au Japon n’a rien à voir avec les activités scientifiques. Il n’y a pas non plus de raisons économiques manifestes pour chasser les baleines, cette occupation financée par l’Etat n’étant pas économiquement rentable. Politiciens et bureaucrates refuseraient tout simplement d’arrêter cette pratique à cause d’un puissant lobbying effectué par les chasseurs de baleines. Selon Grigori Tsedoulko, collaborateur de la filiale russe du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW en anglais), les Japonais ont toujours estimé que personne ne pouvait leur dicter leur comportement, d’autant moins dans leurs eaux territoriales. C’est pourquoi Tokyo considère comme une "affaire d’honneur" la lutte pour récupérer le droit de chasser les baleines".
Mais à quoi bon tuer les baleines à notre époque ? Il n’existe pas de raisons d’ordre civilisationnel pour justifier un tel atavisme. Il existe depuis longtemps des alternatives à l’huile de baleine, de même qu’à l’ambre gris et à la chair de baleine, utilisée essentiellement dans la fabrication d’engrais. La CICB délivre tout de même, de temps à autre, des quotas aux petits peuples du Grand Nord russe et de l’Alaska, en Amérique, pour lesquels la chasse à la baleine représente une occupation traditionnelle. Mais ces peuples-là utilisent des procédés ancestraux qui ne portent aucun préjudice à la nature.
Le XXe siècle a battu tous les records quant à l’extermination des baleines. Le boom industriel, le développement de la construction automobile et de l’aéronautique ont dopé l’utilisation de l’huile de baleine à des fins de lubrification, nécessitant annuellement 12.000 tonnes de cette matière. La parfumerie ne pouvait pas se passer du blanc de baleine et de l’ambre gris, l’industrie de la mode avait besoin des fanons et des os de baleines pour fabriquer des corsets, et les cuisines orientales s’évertuaient à préparer des plats à base de chair de baleine. 2,4 millions de baleines ont été chassées dans l’océan mondial entre 1910 et 1979. L’envergure sans précédent de ce carnage a donné un résultat inouï : ces mammifères marins, dont l’histoire a plus de 60 millions d’années, ont été menacés d’extinction.
La persécution barbare de ces géants océaniques a été partiellement suspendue en 1946, lorsque 18 pays ont organisé la Commission baleinière internationale (IWC). La première chose qu’a faite cette institution a été d’interdire la chasse aux femelles qui allaitent et aux bébés baleines de toutes espèces. Parallèlement, elle a interdit de chasser les baleines franches, grises et bleues, et par la suite les baleines à bosse, les rorquals communs et les rorquals boréals. Néanmoins, ces mesures ont été insuffisantes pour rétablir la population des cétacés, et, en 1986, la chasse commerciale à la baleine a été totalement interdite. Les licences étaient délivrées uniquement pour la capture de certains individus à des fins scientifiques. Le Japon considérant les baleines comme un simple "poisson" et non comme sommet de la pyramide écologique de l’océan, ce pays a été le seul à pouvoir jouir largement de cet avantage.
Il est impossible de prédire quelles seraient les conséquences de la mise en oeuvre du "mauvais scénario", qui suppose une disparition définitive des baleines de notre planète. Mais une chose est claire : lorsqu’un maillon de la "chaîne d’or de la vie" se perd, la vie devient déficiente et vulnérable. Quoi qu’il en soit, la chasse à la baleine au ??Ie siècle et ce type de chasse au XIe siècle (quand les Basques furent les premiers à chasser ces animaux dans le golfe de Gascogne, juste pour survivre) sont deux choses bien différentes. Aujourd’hui, cette occupation ne semble certainement pas être aussi romantique qu’elle l’était au XIXe siècle, à l’époque de la parution du roman "Moby Dick, ou la baleine blanche" (1851) de Herman Melville. Dans ce roman, l’auteur décrit une scène épouvantable de la catastrophe du baleinier "Pequod", cassé et coulé par une baleine blanche blessée par les hommes. Cela vient nous rappeler que notre civilisation pourrait elle aussi un jour être détruite par la nature.
Par Tatiana Sinitsyna, RIA Novosti
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