Les politiques et les médias en font-ils trop ? Les Français, eux, gardent leur calme et la communauté scientifique se divise. Notre enquête pour démêler l’info de l’intox. Quatre controverses.
En attendant que les scientifiques trouvent le remère miracle, les controverses pulullent au sujet de la grippe A. (Reuters)En attendant que les scientifiques trouvent le remère miracle, les controverses pulullent au sujet de la grippe A. (Reuters) Un virus très contagieux mais peu dangereux Les virologues du monde entier assurent que le nouveau virus (A)H1N1 est peu "virulent" avec seulement 1 à 4 décès pour 1.000 personnes infectées. " Jusqu’à présent, c’est la pandémie la plus bénigne que l’on ait jamais vue ", commente John Oxford, professeur de virologie à l’université Queen Mary de Londres. "L’écrasante majorité des patients se rétablissent généralement, même sans traitement médical, en l’espace d’une semaine", indique même l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les experts préviennent toutefois que le virus pourrait muter et gagner en virulence. Pour l’heure, un simple scénario catastrophe. En fait, faute de recul, on est à ce jour dans l’incapacité de calculer un taux de mortalité fiable. Il faudra probablement attendre plusieurs mois pour connaître la véritable dangerosité du (A)H1N1. Les premiers calculs du taux de mortalité, effectués aux Etats-Unis et au Mexique, sont imprécis : de nombreuses personnes infectées n’ont pas consulté de médecin, ne se sachant pas malades.
Une étude publiée le 15 juillet par le British Medical Journal insiste sur les cas de mortalité "indirecte", notamment les infarctus liés au H1N1 : "La grippe camoufle ses crimes", confirme sur son blog (http://blog.ehesp.fr) l’épidémiologiste Antoine Flahault, directeur de l’Ecole des hautes études en santé publique. Pour mesurer l’ampleur réelle de la pandémie, il conviendra d’étudier a posteriori "la mortalité en excès". Cela prendra plusieurs mois. "Il faudra attendre de pouvoir mesurer les mortalités en excès en Argentine et au Chili pour avoir une idée exacte de la virulence de cette souche", relativise Antoine Flahault.
Un vaccin pas forcément utile
C’est l’équation impossible. Comment fabriquer assez de vaccins pour 6,8 milliards de terriens, et leur administrer en un temps record ? L’OMS a prévenu : il y aura des laissés- pourcompte. D’autant plus que le vaccin ne sera pas disponible pour le pic de contamination prévu au début de l’automne. Malgré les efforts des labos, les premières doses n’arriveront donc pas avant la fin octobre. "Les labos ont fixé des dates de livraison optimistes. En réalité, il y aura une montée en puissance progressive", explique Claude Allary, associé au cabinet de conseil Bionest. Du coup, le vaccin ne sera disponible massivement qu’en novembre, au mieux. Il faudra donc définir des populations prioritaires (personnels de santé, femmes enceintes, policiers et militaires, etc.). " La ;meilleure façon de se protéger c’est de faire une campagne de vaccination massive ", assure Bruno Lina, directeur du Centre national des virus de la grippe et membre du comité d’experts. Une opinion qui suscite de nombreux doutes : le vaccin deviendrait inopérant si le virus mute. Plus dérangeante, une étude de l’épidémiologiste anglais Tom Jefferson, qui a compilé quarante ans de recherches, conclut que les vaccins antigrippaux sont d’une efficacité très limitée.
Le principe d’une campagne planétaire de vaccination le laisse donc sceptique : "Protéger la population mondiale contre une chose aussi inoffensive qu’un rhume ? C’est de la folie !" Prendre des mesures nationales a peu de sens face à un virus aussi contagieux. Or, les pays en voie de développement devront pour beaucoup se contenter des miettes, même si deux labos (Sanofi-Aventis et GSK) ont promis de donner 150 millions de doses. "Il ne faut pas attendre le vaccin. Les mesures simples d’hygiène, le lavage des mains, permettraient à ces pays d’éviter le (A)H1N1. C’est bien plus abordable, mais il n’y a pas de marché pour l’eau et le savon", ajoute Tom Jefferson. De son côté, Bruno Marchou, chef du service des maladies infectieuses au CHU de Toulouse, redoute une vague de procès contre l’Etat et les labos : "On aura quelques dizaines de milliers de cas avec des pathologies imputées, à tort ou a raison au vaccin, comme on a eu la sclérose en plaques avec celui de l’hépatite B."
Un principe de précaution rigide
Les autorités françaises ont ouvert grand le parapluie du principe de précaution. Stockage massif d’antiviraux, achat d’un volume très important de vaccins... La France, sans lésiner sur les moyens, applique en très bonne élève les recommandations de l’OMS et l’ampleur de son plan antipandémie est régulièrement louée par les experts du monde entier. Le Premier ministre François Fillon a redit vendredi que le gouvernement n’en faisait pas trop : "Mais si nous ne faisions pas ça, les mêmes à la même heure diraient qu’on n’a pas pris la mesure de la situation et se retourneraient contre nous." Bruno Lina assène : "Pour être prêts à affronter la pandémie, il faut se préparer au pire. Ce ne sont pas des dépenses inconsidérées mais des décisions mûrement réfléchies par le comité de lutte contre la grippe qui réunit une vingtaine d’experts." Selon lui, si l’on ne faisait rien, quelque 20 millions de personnes seraient touchées, contre seulement 10 millions grâce aux mesures préventives. Moins de personnes atteintes, c’est moins de morts.
Si on fait l’hypothèse basse d’un taux de mortalité de 1 pour 1 000 on passe de 20 000 à 10 000 morts. Dans l’hypothèse haute, les chif fres sont encore plus éloquents : on passe de 80 000 à 40 000. D’un autre côté, des parlementaires de gauche (les députés socialistes Jean-Marie Le Guen et Catherine Lemorton), de nombreux médecins et même certains élus de droite, comme Bernard Debré, dénoncent les rigidités du principe de précaution made in France. "Les mandarins de l’OMS ont imposé au monde une doctrine hygiéniste. La France n’aurait pas à rougir de rester en retrait", observe Laurent Sedel, chef de service de chirurgie orthopédique à l’hôpital parisien Lariboisière et auteur de Chirurgien au bord de la crise de nerfs (Albin Michel). "Vu le caractère peu virulent du virus, la mobilisation est peut-être excessive. Mais la sensibilité de l’opinion est telle qu’on est plutôt dans la surréaction sécuritaire. Du coup, les politiques préfèrent endurer le reproche d’en faire trop", analyse Claude Le Pen, économiste de la santé à l’université Paris-Dauphine.
Le coût exorbitant de la campagne de prévention
Une certitude : la facture du plan antigrippe s’annonce astronomique. L’achat des 94 millions de doses de vaccin (un record en Europe) va coûter à lui seul 879 millions d’euros. Et même plus d’un milliard si les options pour 34 millions de doses supplémentaires sont confirmées. Une aubaine pour les labos. Selon le ministère de la Santé, le prix d’achat moyen est d’ "environ 8 euros par dose". Soit 60% de plus que le vaccin contre la grippe saisonnière ! Les pouvoirs publics rétorquent qu’il est plus économique de vacciner quelqu’un que de le soigner. Et que la pandémie coûterait bien plus cher si rien n’était fait. Entre les soins et les arrêts maladie, l’impact économique d’une pandémie massive serait "de 5 à 7 milliards d’euros", indique une source gouvernementale. Le coût direct (soins + indemnités journalières) de la grippe "normale" s’élève chaque année à un peu plus de 100 euros par malade.
En clair, avec des estimations de 20 millions de malades, le coût du H1N1 serait de 2 milliards " seulement " selon cette étude. Dans ces conditions, le gouvernement a-t-il surpayé les vaccins ? "Nous avons négocié pied à pied", se défend-on au ministère de la Santé. Mais vu l’explosion de la demande, les labos étaient en position de force. Et le britannique GSK semble avoir tiré son épingle du jeu. Selon nos informations, il aurait vendu plus cher que le français Sanofi. Dès lors, pourquoi avoir acheté seulement 28 millions de vaccins à Sanofi contre 50 millions à K ? "Nous avons dû nous adapter à la capacité de production des industriels", répond-on dans l’entourage de Roselyne Bachelot. Reste à administrer les vaccins à plus de 40 millions de Français. Le gouvernement envisage de confier cette tâche à des centres dédiés. S’ils sont débordés - ce qui est probable - il faudra avoir recours aux professionnels libéraux. Dans l’hypothèse où les médecins s’en chargeaient à 100%, cela coûterait entre 800 millions et 1,6 milliard à la Sécu en remboursement d’honoraires ! "Ce ne serait pas raisonnable", s’inquiète Michel Régereau, président (CFDT) de l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie. En pleine crise économique, est-il vraiment nécessaire de dépenser de telles fortunes ? "On a tort. Cet argent qu’on gaspille en péchant par excès est un véritable détournement de fonds, qui fait qu’on ne pourra plus traiter les situations sanitaires les plus graves. Les 450 à 700 morts que l’OMS impute à la grippe A ne pèsent rien face aux millions de morts liés au sida ou au paludisme", dénonce Marc Gentilini, ancien président de la Croix-Rouge.
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