jeudi 5 mars 2009

Des structures parfaitement circulaires observable depuis l'espace

Que sont ces structures parfaitement circulaires, légèrement en creux qu'on observe depuis l'espace à l'Est de la Sibérie ? Des cratères d'impacts ? D'anciens volcans ? Des intrusions magmatiques ? Sur le terrain la première hypothèse est vite éliminée, les roches ont une signature très profonde. Mais, depuis quelques décennies, la discussion n'est pas close quant à l'origine de ces objets géologiques très particuliers, exploités de surcroît pour leurs gisements de platine et d'or. Une équipe de chercheurs français, suisses et russes publient dans la revue Journal of Petrology leurs conclusions basées sur une étude du massif de Kondyor, alliant géologie structurale, géochimie et modélisation numérique. Il s'agit bien d'une remontée du manteau au travers de la lithosphère continentale. Cette structure ne serait pas une simple curiosité de la nature mais le témoin d'un processus plus général, peut-être en relation avec l'initiation de la rupture des continents. Une étude financée par le programme « Intérieur de la Terre » de l'INSU.


Vu de l'espace, le massif de Kondyor, est un cratère parfaitement circulaire, de 8 km de diamètre, dont la couronne périphérique culmine à 1200-1400 m et surplombe de quelques centaines de mètres le Bouclier d'Aldan, dans le « Far-East » Russe (Sibérie, Territoire de Khabarovsk). Cependant, il ne s'agit ni d'un cratère d'impact, ni d'une structure volcanique. Sa couronne résulte de l'érosion d'un dôme de roches sédimentaires métamorphisées à haute température (cornéennes). La dépression centrale est constituée de roches très riches en magnésium et fer (Mg et Fe, roches dites ultramafiques), à l'image des roches du manteau terrestre. La composition minéralogique évolue depuis un coeur essentiellement composées de roches (« dunites ») très riches en olivine (minéral dominant dans le manteau supérieur), jusqu'à une auréole de roches dominées par le pyroxène (minéral très abondant dans les basaltes par exemple). De plus, de riches gisements de platine et d'or ont été exploités ces dernières années au coeur du massif.

Ces caractéristiques rapprochent Kondyor d'autres massifs bien connus en Alaska et dans l'Oural, interprétés, depuis des décennies, comme le résultat de la cristallisation, au sein de la croûte, de magmas provenant du manteau. Cependant des géologues russes avaient émis une autre hypothèse : la remontée du manteau solide au travers de la croûte, jusqu'à la surface. Ce que les spécialistes appellent un « diapir » de roches mantelliques (du Grec diapeirein : « percer à travers »). Cette idée n'a cependant pas trouvé d'écho auprès de la communauté internationale. La question soulevée étant : comment des roches particulièrement denses (les roches du manteau) auraient-elles pu remonter en surface, au travers d'une croûte légère, avec une telle structure cylindrique?

Afin d'étudier en détail cette hypothèse, un projet international et pluridisciplinaire a été mené par des chercheurs de l'ETH de Zürich, Géosciences Montpellier (CNRS-INSU, Université de Montpellier 2), l'Institut de Géologie et de Géochimie d'Ekaterinburg et l'Institut de Tectonique et de Géophysique de Khabarovsk. Ces travaux ont combiné l'analyse des structures du massif sur le terrain, l'étude microstructurale, pétrographique et géochimique des roches et la modélisation numérique du diapirisme. Les mesures en laboratoire (orientations cristallographiques par diffraction des électrons rétrodiffusés « MEB-EBSD », analyses par microsonde électronique et par ICP-MS à ablation laser) ont été effectués à Montpellier sur des instruments cofinancés par l'INSU.

Des roches mises en place à l'état solide

Les observations de terrain ont confirmé la mise en place du corps ultramafique dans la croûte supérieure sous la forme d'une intrusion solide, chaude. La température élevée de l'intrusion est attestée par une auréole métamorphique développée sur environ 500 m autour du massif. Sous cette poussée de roches chaudes, les sédiments protérozoïques (plus vieux que 540 millions d'années) ont été métamorphisés, déformés et redressés pour former une structure en dôme dont l'érosion différentielle a produit la morphologie en cratère. Les reconstitutions suggèrent que le toit du massif a atteint 0,5 à 0,7 km sous la surface, avant d'être érodé sur 1 à 2 km de profondeur. Les dunites (roches centrales riches en olivines) sont fortement déformées avec une texture et des orientations cristallographiques des minéraux qui témoignent d'une déformation plastique héritée d'un fluage à haute température (> 1000°C).

De plus, l'existence d'une forte anomalie de gravité centrée sur le cratère, implique un enracinement du cylindre de roches ultramafiques à, au minimum, 10 km de profondeur. Dans l'hypothèse classique de cristallisation d'une chambre magmatique dans la croûte, la déformation enregistrée par les dunites et la montée à l'état solide de roches ultrabasiques aussi denses au travers de la croûte ne trouvent pas d'explication. Par ailleurs, il n'est pas non plus possible d'invoquer une poussée tectonique, car le massif s'est mis en place au Mésozoïque (fin Jurassique - début Crétacé vers 145 millions d'années) dans un contexte intra-plaque, calme, en dehors de tout contexte de formation de chaînes de montagnes. En effet, au-delà de 1000 m de Kondyor, les sédiments qui recouvrent le socle du bouclier d'Aldan ne sont ni déformés, ni métamorphisés.

Des roches en provenance du manteau

L'analyse pétrologique et géochimique des roches ultramafiques de Kondyor révèle que les dunites sont des roches du manteau ayant subi d'intenses réactions avec des magmas. L'auréole périphérique des roches riches en pyroxènes a dû se développer tardivement aux dépens des dunites par une réaction magma-roche. Elle témoignerait de l'apparition d'un gradient de température à la périphérie de l'intrusion, mais toujours à très haute température, dans des conditions proches de la fusion partielle du manteau. Enfin, les dunites sont littéralement « lardées » de filons et de veines cristallisées à partir de magmas particuliers, dit lamproïtiques, qui se forment à la base de la lithosphère. Les interactions de ces veines avec les dunites ont pu être étudiées en détail grâce à des échantillons de carottage fournis par la compagnie Artel Amur qui exploite le platine.

Dans ce massif, la relation entre les roches provenant du manteau et des magmas provenant de la base de la lithosphère fournit une clef possible pour comprendre son origine. La modélisation numérique a montré que la simple accumulation de magmas interstitiels à un point haut à la base de la lithosphère pourrait suffire à déclencher une instabilité qui engendre des mouvements verticaux du manteau de grande amplitude au travers de la lithosphère. Ainsi des roches ultrabasiques de la partie mantellique de la lithosphère (1), localement plus chaudes, moins denses et moins visqueuses que le manteau environnant peuvent être propulsées au travers de la croûte, pourtant moins dense, par leur racine « translithosphérique ». Le massif du Konydor serait la pointe d'un « diapir trans-lithosphérique » profondément enraciné à la base de lithosphère.

D'où viennent les irrégularités à la base de la lithosphère à l'origine d'instabilités thermiques du manteau ?

De tels points hauts à la base de la lithosphère sont probablement hérités d'événements géodynamiques plus anciens, comme le suggère la distribution des autres massifs, de type Kondyor, dans le Bouclier d'Aldan. Ces massifs (Ingili, Sybakh et Chad), alignés selon une direction nord-sud le long de linéaments tectoniques anciens, se sont mis en place à la faveur d'un épisode d'ouverture continentale (rifting). Certains indices, comme l'existence d'anomalies gravimétriques associées à des complexes magmatiques annulaires, indiquant une racine profonde, permettent de penser que les «diapirs translithosphériques» de type «Kondyor» sont probablement communs (en particulier sur les marges de l'Atlantique Nord), quoique méconnus. Ce diapirisme pourrait jouer un rôle fondamental lors des stades initiaux de l'ouverture continentale, en particulier à l'aplomb de panaches dans le manteau. Ils seraient en quelque sorte, le pointillé par lequel un continent pourrait commencer à se rompre. Par ailleurs le diapirisme translithosphérique, révélé à Kondyor, présente certaines similitudes avec les diapirs identifiés sur d'autres planètes telluriques, notamment sur Vénus.
Note(s)
    La lithosphère qui constitue les plaques lithosphériques est constituée de croûte en surface (composée de roches riches en silice et aluminium pour la croûte continentale) et de manteau (dit manteau lithosphérique, riche, composé de roches riches en magnésium et fer) en profondeur.
Source
Contact Journal of Petrology (sous presse) Translithospheric mantle diapirism: geological evidence and numerical modelling of the Kondyor zoned ultramafic complex (Russian Far-East) J.-P. Burg1, J.-L. Bodinier2, T. Gerya1, R.-M. Bedini2, F. Boudier2, J.-M. Dautria2, V. Prikhodko3, A. Efimov4, E Pupier2 and J.-L. Balanec2

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