Faites vos choix dans une autre langue vous aidera.

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Cela semble idiot qu'il y ait une différence quelconque entre penser dans sa langue maternelle ou dans une langue étrangère. C'est pourtant le cas. Penser en langue étrangère nous permet avant tout de voir nos émotions interférer dans une moindre mesure. Nous prenons donc plus aisément une décision rationnelle. 

Pour le découvrir, on a repris une expérience maintenant célèbre, et que je trouve personnellement fondamentale, de Daniel Kahneman (prix Nobel d'économie). Elle consiste à présenter un scénario à un volontaire et de lui demander un choix parmi deux options (et pas plus). La voici ! On demande donc à une partie des volontaires qui avaient appris le japonais de décider s'ils optaient plutôt pour un remède qui sauve tous les malades, mais disponible que pour un tiers d'entre eux, ou un remède qui a un tiers de chances de sauver tous les malades, mais disponible en nombre. 

L'autre partie des volontaires américains (langue maternelle anglaise) entendaient la même version du problèmeSAUF que l'on parlait de « deux tiers de décès » pour le premier remède valable que pour un tiers des malades et de « deux tiers de risques de voir les malades mourir » dans le deuxième cas. Vous l'avez compris : l'évocation de la mort change complètement la donne dans la partie émotionnelle de notre cerveau alors que pour un ordinateur, le problème est en tout point identique et le choix à faire est donc stricto sensu le même. 

Les réponses ! Quand on soumet le premier problème en anglais (langue natale), 80 % des volontaires choisissent la sécurité : soit, sauver au moins un tiers des gens. Si le problème est présenté avec la deuxième manière, ce nombre tombait à 47 %. On répète fort, car vous avez peut-être mal lu ou trop vite : « Pour un même problème soumis à des humains, selon la manière de le présenter dans la forme (et pas dans le fond) on obtient un résultat complètement différent en moyenne (80 % ou de 47 %) ! » 

On nomme cela un « biais » en sciences. Dans la vie réelle, on peut facilement nommer cela « une grave erreur de jugement qui a coûté très cher »... Voyons les mêmes problèmes, mais en japonais cette fois. Dans ce cas, peu importe la manière de présenter la chose avec la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide, les réponses sont de 40 % pour la sécurité du premier remède... Évidemment, on a répété cette expérience de différentes manières, mais le résultat était toujours le même. 

On a aussi essayé une version concernant des gains et pas des pertes (on sait en effet que notre cerveau ne voit pas les gains et les pertes avec la même proportionnalité : cela se nomme « l'aversion au risque »). Cette fois, c'était des Coréens dont l'anglais était la deuxième langue. Même effet de retour à la rationalité dans le cas où la seconde langue est utilisée. On a aussi réalisé l'expérience dans le monde réel, soit en misant des véritables petites sommes d'argent. Même topo au final. 

Nous prenons tous les jours des décisions et parfois des choix cornéliens, surtout lorsque de fortes émotions sont impliquées. Des exemples classiques : « dois-je me séparer de ma compagne quitte à faire souffrir les enfants ? », « Dois-je accepter ce poste et déménager ? ». Si vous avez la chance de maîtriser une autre langue, pourquoi pas se poser la question dans d'autres termes pour ne pas laisser les émotions interférer ?

Pour aller plus loin: Keysar B, Hayakawa SL, An SG. The Foreign-Language Effect: Thinking in a Foreign Tongue Reduces Decision Biases, Psychological Science, Published online before print April 18, 2012, doi: 10.1177/0956797611432178

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